Following the Equator de Mark Twain

Following the Equator de Mark Twain

Mark twain

L’article qui suit est une présentation de ce livre peu connu du public francophone. Les nombreuses citations extraites du texte de Mark Twain ne sont pas traduites de l’anglais. La lecture de cette présentation demande donc l’effort, peut-être inhabituel, de passer alternativement d’une langue à l’autre.

Le français, l’anglais, voilà bien des années que je jongle avec ces deux langues ! Traduire est un exercice périlleux qui n’est pas de mon ressort, je préfère ici même continuer à jongler et laisser aux autres le plaisir – le travail, la surprise – de lire Mark Twain dans le texte original. Pour rassurer les lecteurs qui ne lisent pas l’anglais, cet article reste lisible en sautant les citations de Mark Twain…mais quel dommage !

Références et remerciements :

Following the Equator, Mark Twain, the National Geographic adventure classics

(Introduction by Anthony Brandt)

Le texte intégral de Following the Equator d’où sont extraites les citations est disponible sous forme de livre électronique sur le site du projet Gutenberg : http://www.gutenberg.org/files/2895/2895-h/2895-h.htm

P.Mathex

Following the Equator, le dernier récit de voyage de Marc Twain, ne suit pas l’Equateur. A l’instar de l’équateur pourtant, l’auteur fait le tour du monde. Il traverse d’abord l’hémisphère nord, de Paris à Vancouver – où le récit commence, et le départ est retardé par d’intenses feux de forêts dont les fumées perturbent la navigation en mer. Puis, jusqu’aux forêts denses de Nouvelle-Zélande de l’autre côté du globe, en passant par l’Australie, Ceylan, l’Inde, l’Ile Maurice, l’Afrique du sud, et de retour à Southampton un an plus tard, Mark Twain, témoin de son époque, observe et commente. A l’apogée de son art, il ne nous épargne rien. Il nous conte, avec un humour dévastateur, son douloureux voyage et notre cruelle réalité.

Dénonçant les mauvais traitements imposés à l’homme par l’homme, sans concession pour l’homme blanc dont la rage colonisatrice a réduit des populations entières à néant, l’auteur s’émerveille de la richesse culturelle, linguistique, architecturale, esthétique, spirituelle de l’Inde, de l’enchantement à la fois tropical et oriental de Ceylan, de l’immensité calme de l’océan, des splendeurs de la Nature.

Le ton est à l’humour, sans aucun doute sa « marque de fabrique », ce qu’on attend de lui. Cet humour ravageur mérite aujourd’hui être relu, car Mark Twain n’entreprend ce voyage ni par plaisir, ni par soif d’aventure. Il ne part pas en vacances, et franchement, ne trouve pas ce voyage amusant. Tourner en dérision les nations dites « civilisées », rire et faire rire pour mieux raconter, ironiser pour distraire un lecteur potentiel, lui permet de presque tout dire, en dissimulant autant que possible, et pour ne pas pleurer, cette face cachée qu’il ne peut révéler sans sombrer dans le pathétique : un homme de sa trempe ne doit pas sombrer dans le pathétique ! Heureusement, Mark Twain a toujours su sauvegarder l’illusion, quasi-totale. Tout au long de sa carrière littéraire, il a déplacé, parfois gommé, la frontière entre réel et fictif :

My own luck has been curious all my literary life; I never could tell a lie that anybody would doubt, nor a truth that anybody would believe.” (Ch. 62)

Relisons donc Following the Equator, de Mark Twain, ce merveilleux récit de voyage écrit en 1896-97, dont j’ai vainement cherché une traduction française – ce qui ne veut pas dire qu’il n’en existe pas. Le texte, d’une richesse, d’une profondeur et d’une sagesse inouïes, étonnamment actuel, mérite aujourd’hui plus que jamais, dans notre monde en crise en quête de repères, d’être connu du public francophone.

Mark Twain non seulement nous fait découvrir les splendeurs du monde, la beauté des hommes des contrées lointaines, de leurs innombrables réalisations, de la nature et des paysages, mais il nous décrit aussi sans complaisance les misères d’une époque révolue pourtant si ressemblante à la nôtre – à l’exception sans aucun doute des moyens de transports  et de communication ! Il le fait sans amabilité, sans égard pour nos peuples colonisateurs, il dénonce notre absence de respect pour les coutumes qui ne sont pas les nôtres, notre immodestie, notre insatiable appât du gain.

Le voyage de Mark Twain date d’il y a plus d’un siècle, époque qui permettait encore au voyageur de ressentir physiquement ces distances qu’on ne pouvait parcourir sans prendre en considération l’incontournable paramètre temporel, le temps du voyage prenait alors une autre consistance, devenant, lors des longues traversées des océans, une autre dimension, un véritable passage hors du monde :

I do not know how a day could be more reposeful: no motion; a level blue sea; nothing in sight from horizon to horizon…… the world is far, far away; it has ceased to exist for you—seemed a fading dream, along in the first days; has dissolved to an unreality now;..”

Cette même traversée de l’immensité de l’océan Indien, de Ceylan à l’île Maurice, lui inspire ce commentaire amusé sur l’absence totale d’humilité de l’homme qui se croit, malgré l’évidence contraire, la plus privilégiée des créatures sur terre :

It is strange and fine—Nature’s lavish generosities to her creatures. At least to all of them except man. For those that fly she has provided a home that is nobly spacious—a home which is forty miles deep and envelops the whole globe, and has not an obstruction in it. For those that swim she has provided a more than imperial domain—a domain which is miles deep and covers four-fifths of the globe. But as for man, she has cut him off with the mere odds and ends of the creation. (…)Yet man, in his simplicity and complacency and inability to cipher, thinks Nature regards him as the important member of the family—in fact, her favorite.”

(Ch 62)

Quelle prétention! L’homme, incapable de réfléchir plus loin que le bout de son nez, se considère le préféré, et l’homme occidental, lui, s’autoproclame pourvoyeur de civilisation !

Mark Twain

Mark Twain, intransigeant, n’écrit pas ce livre dans les meilleures conditions ni dans les meilleures dispositions. Tout au contraire, dans un état de santé déplorable, accablé de dettes, il est obligé, pour les rembourser, d’entreprendre ce tour du monde au cours duquel il donne une centaine de conférences très appréciées du public. Sa femme et l’une de ses filles, Clara, l’accompagnent. Ses deux autres filles sont restées à New-York chez leur tante. Le voyage dure un an, inconfortable comme on peut l’imaginer pour un homme de soixante ans la plupart du temps malade. Son livre permettra de rembourser les dernières dettes.

Mark Twain ne parle pas de ses conférences, et s’il fait allusion à sa santé défaillante, il ne s’attarde pas sur ses maux et misères. Jamais non plus il ne mentionne l’atroce nouvelle, la pitoyable tragédie qui l’attend à son retour à Londres : l’annonce de la maladie puis du décès de sa fille Suzy, que son épouse désespérée s’empresse d’essayer de rejoindre à New York, pour malheureusement arriver trois jours top tard.

Following the Equator, rédigé dans la tristesse et l’accablement l’année qui suit son retour, à partir de ses notes de voyage, s’efforce de répondre à une attente, celle du public d’un auteur humoristique dont la notoriété a fait depuis longtemps le tour du monde, et qui ne peut décevoir.

Mark Twain, pourtant, a trouvé le moyen de dire sa peine. Au cours de la longue traversée de l’Océan Pacifique, il prétend lire Julia Moore, la poétesse du Michigan, à l’époque dénigrée de tous pour le sentimentalisme et le pathétisme exagérés de ses soit disant mauvais poèmes :

« The Sentimental Song Book » has long been out of print, and has been forgotten by the world in general, but not by me;”( Ch 36 )

Julia Moore est oubliée de tous, mais pas de Mark Twain qui laisse une fois de plus le lecteur le croire ironique, lui que personne ne croit quand il est sincère, et dont on avale tous les mensonges, ambiguïté qu’il entretien, bien sûr, et pourtant, rien de moins sincère que son affection particulière pour les poèmes de Julia Moore  à qui, sans hésitation, il cède la parole en choisissant de citer le poème William Upson , histoire d’un jeune homme décédé loin de ses parents :

How it would relieve his mother’s heart
To see her son from this world depart,
And hear his noble words of love,
As he left this world for that above.”

Comment ne pas penser un seul instant qu’il n’adresse pas ces vers à sa femme Olivia, qui après l’avoir accompagné dans cet exténuant tour du globe, est arrivée trop tard au chevet de sa fille restée aux Etats-Unis qui venait de décéder ?

Mark Twain ne parle-t-il pas de sa propre situation, pathétique à en pleurer, lorsqu’il dit, au sujet des poèmes de Julia Moore  qu’il apprécie en eux  « the touch that makes an intentionally humorous episode pathetic and an intentionally pathetic one funny. »?

Les poèmes de Julia Moore sont drôles à force d’être pathétiques et pathétiques à force d’être involontairement drôles. Le récit de Mark Twain, humoristique à souhait, écrit sur commande, rédigé dans la douleur, implore Mrs. Julia Moore de chanter à sa place ses complaintes, ses lamentations, ses chants populaires larmoyants – seul genre littéraire autorisé aux femmes de l’époque – qui avaient pourtant le pouvoir de panser les plaies et d’aider à supporter la cruelle réalité si commune de la mortalité infantile et des jeunes adultes. Lamentations bien sûr inacceptables pour un grand écrivain reconnu comme Mark Twain, alors qu’une femme restée sans éducation pour avoir d’abord elle-même élevé ses frères et sœurs, puis ses dix enfants dont quatre décédés avant l’âge adulte, pouvait s’y adonner sans restriction et subir à souhait les moqueries de ceux qui s’autoproclamaient du club de ce pauvre Shakespeare qui n’avait pourtant rien demandé.

Non, Mark Twain ne méprise pas les poèmes de Mrs. Julia Moore, il lui est infiniment reconnaissant, mais il préfère ne pas le dire de manière trop abrupte :

I have been reading the poems of Mrs. Julia A. Moore, again, and I find in them the same grace and melody that attracted me when they were first published, twenty years ago, and have held me in happy bonds ever since.”

Vingt ans auparavant, pour les mêmes tristes raison il y avait trouvé un réconfort à sa tristesse, et aujourd’hui il la cite une fois de plus :

He was taken sick and lived four weeks,
And Oh! how his parents weep,
But now they must in sorrow mourn,
For Billy has gone to his heavenly home.”

Latitude – Longitude

Following the Equator, ne suit pas l’Equateur.

La littérature dite de « voyage » n’est pas ce que l’on pense, elle est rarement motivée par la soif d’aventure d’un auteur intrépide, et contrairement à ce qu’on aime nous faire croire, Mark Twain ne rit pas de tout. Peu de récits aussi bien que Following the Equator ne porte ce message : le voyage est en nous, il nous définit en tant qu’espèce. Son voyage est le nôtre, celui que poursuit notre espèce migrante depuis cette époque lointaine où nous nous sommes éloignés de la zone intertropicale.

Cette ligne d’équateur qui nous fait tant rêver, Mark Twain la traverse à quatre reprises au cours de ce périple :

Approaching the equator on a long slant. Those of us who have never seen the equator are a good deal excited. I think I would rather see it than any other thing in the world. We entered the « doldrums » last night—variable winds, bursts of rain, intervals of calm, with chopping seas and a wobbly and drunken motion to the ship—a condition of things findable in other regions sometimes, but present in the doldrums always. The globe-girdling belt called the doldrums is 20 degrees wide, and the thread called the equator lies along the middle of it.”…

Crossed the equator. In the distance it looked like a blue ribbon stretched across the ocean.” (Ch. 4)

Le voilà ce ruban bleu, cette latitude zéro si loin des pays tempérés de l’hémisphère nord, que Mark Twain présente comme étant ce qu’au monde il désire voir avec le plus d’ardeur.

Voici un récit de voyage qui nous reconnecte avec la planète, cette sphère que nous nous partageons avec tant de mal, à croire que nous sommes encore persuadée qu’elle est plate, et qu’en continuant le voyage, nous ne nous retrouverons pas à la case départ, face à nous même.

Après l’équateur, c’est la traversée du grand méridien.

To-morrow we shall be close to the center of the globe—the 180th degree of west longitude and 180th degree of east longitude.

Et non sans humour :

And then we must drop out a day—lose a day out of our lives, a day never to be found again. We shall all die one day earlier than from the beginning of time we were foreordained to die. We shall be a day behindhand all through eternity. We shall always be saying to the other angels, « Fine day today, » and they will be always retorting, « But it isn’t to-day, it’s tomorrow. »” (Ch 4 )

Plaisanterie confirmée par Mark Twain : non, ce n’est pas une blague, aujourd’hui c’est bien demain! Voilà ce qui se passe quand on fait le tour du monde dans le sens contraire de la rotation de la terre !

“ Next Day. Sure enough, it has happened. Yesterday it was September 8, Sunday; to-day, per the bulletin-board at the head of the companionway, it is September 10, Tuesday.”

L’essentiel étant de ne pas naître à bord à ce moment-là !

Along about the moment that we were crossing the Great Meridian a child was born in the steerage, and now there is no way to tell which day it was born on. The nurse thinks it was Sunday, the surgeon thinks it was Tuesday. The child will never know its own birthday. It will always be choosing first one and then the other, and will never be able to make up its mind permanently. This will breed vacillation and uncertainty in its opinions about religion, and politics, and business, and sweethearts, and everything, and will undermine its principles, and rot them away, and make the poor thing characterless, and its success in life impossible. »

Les hésitations devant les dates de naissance font des individus sans personnalité, mais l’enfant s’effacera peut-être devant une grande œuvre, comme celle de Mark Twain, qui sait ?

Les considérations sur la longitude et la latitude, ne manquent pas. Arrivé à Sydney, s’étonnant de la chaleur, il compare avec les Etats-Unis :

If the climates of the world were determined by parallels of latitude, then we could know a place’s climate by its position on the map; and so we should know that the climate of Sydney was the counterpart of the climate of Columbia, S. C., and of Little Rock, Arkansas, since Sydney is about the same distance south of the equator that those other towns are north of it—thirty-four degrees. But no, climate disregards the parallels of latitude. In Arkansas they have a winter; in Sydney they have the name of it, but not the thing itself.” ( Ch 9 )

De même, quittant l’Australie pour la Nouvelle-Zélande, Mark Twain situe :

All people think that New Zealand is close to Australia or Asia, or somewhere, and that you cross to it on a bridge. But that is not so. It is not close to anything, but lies by itself, out in the water”

Quoi qu’il en soit, rien de tel qu’un long périple sur les océans pour remettre les distances en perspective ! Dans ces contrées éloignées, nous dit Mark Twain, mieux vaut ne pas trop planifier. Les distances sont les distances, et sont incontournables. Lors de la traversée du pacifique, sur le point de débarquer à Honolulu, les passagers apprennent qu’une épidémie de choléra y fait rage :

Several of our passengers belonged in Honolulu, and these were sent ashore; but nobody could go ashore and return. (…) And we had with us a lawyer from Victoria, who had been sent out by the Government on an international matter, and he had brought his wife with him and left the children at home with the servants and now what was to be done? Go ashore amongst the cholera and take the risks? Most certainly not. (…) It is easy to make plans in this world; even a cat can do it; and when one is out in those remote oceans it is noticeable that a cat’s plan and a man’s are worth about the same. There is much the same shrinkage in both, in the matter of values.”(Ch 3)

Notre mode de pensée, nos capacités à imaginer ou visualiser l’inconnu sont entièrement régis par la connaissance de ce qui nous est familier. Alors comment décrire ? Mark Twain, de retour à Londres, compare les splendeurs étincelantes du Taj Mahal à cette merveille de la nature que sont les miraculeuses « tempêtes de verglas » de son enfance, qui, au premier rayon de soleil, transforment le paysage givré en un spectacle translucide éblouissant, une vision de feu paradisiaque, une explosion scintillante d’une inimaginable splendeur, mais à Londres, l’image ne touche personne :

Here in London the other night I was talking with some Scotch and English friends, and I mentioned the ice-storm, using it as a figure—a figure which failed, for none of them had heard of the ice-storm…

The oversight is strange, for in America the ice-storm is an event. …”(Ch 59 )

A savoir pourquoi ce qui brille nous attire tant, nous émerveille à ce point ? Qu’il soit question des inestimables diamants des mines d’Afrique du sud, ou des perles de verroteries utilisées comme monnaie d’échange pour dépouiller les peuples autochtones de leurs terres et de leur dignité, Mark Twain s’interroge.

Injustices

Following the Equator décrit, déplore, dénonce, l’insatiable convoitise de l’espèce humaine, plus particulièrement du monde anglophone bientôt propriétaire de la planète entière, constellations comprises :

In a little while, now—I cannot tell exactly how long it will be—the globe will belong to the English-speaking race; and of course the skies also. Then the constellations will be re-organized, and polished up, and re-named—the most of them « Victoria, » I reckon…”

Mais Mark Twain ne critique pas uniquement les procédures de l’Empire britannique ou des Etats-Unis, à plusieurs reprises, les français ne sont pas épargnés. Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles il est si difficile de trouver une traduction française du texte ? Le livre regorge de descriptions des injustices subies par les peuples colonisés. Injustice étant un bien faible mot, car il s’agit la plupart du temps d’anéantissement total.

Au fur et à mesure de son périple, il commente. A l’approche de l’Australie, la croisière traverse une myriade d’îles paradisiaques, îles sur lesquelles étaient et sont toujours « recrutés »  les travailleurs des plantations du Queensland :

From the multitudinous islands in these regions the « recruits » for the Queensland plantations were formerly drawn; are still drawn from them, I believe. Vessels fitted up like old-time slavers came here and carried off the natives to serve as laborers in the great Australian province”.(Ch 5)

Mark Twain cite le capitaine Wawn, un capitaine de vaisseau recruteur :

« Captain Wawn is crystal-clear on one point: He does not approve of missionaries. They obstruct his business. They make « Recruiting, » as he calls it (« Slave-Catching, » as they call it in their frank way) a trouble when it ought to be just a picnic and a pleasure excursion.”

Puis, il cède la parole au missionnaire catholique critiquant les méthodes de recrutement parmi les kanaks – qui, curieusement, ne se laissent pas faire- et expliquant les raisons pour lesquelles, d’après les planteurs, les kanaks gagneraient à aller travailler sur les plantations :

« When he comes from his home he is a savage, pure and simple. He feels no shame at his nakedness and want of adornment. When he returns home he does so well dressed, sporting a Waterbury watch, collars, cuffs, boots, and jewelry.  »

Mark Twain commente :

For just one moment we have a seeming flash of comprehension of, the Kanak’s reason for exiling himself: he goes away to acquire civilization. Yes, he was naked and not ashamed, now he is clothed and knows how to be ashamed; he was unenlightened; now he has a Waterbury watch…”

Le missionnaire explique alors comment un kanak sautant par-dessus bord pour s’enfuir, poussé à nager jusqu’à épuisement par les recruteurs qui plaçaient une embarcation entre le fugitif et la côte, de manière à l’empêcher de l’atteindre, remontait de lui-même dans le bateau, sans protester !

Yes, exhaustion is likely to make a boy quiet. If the distressed boy had been the speaker’s son, and the captors savages, the speaker would have been surprised to see how differently the thing looked from the new point of view; however, it is not our custom to put ourselves in the other person’s place.”

Il n’est pas dans nos habitudes de nous mettre à la place d’autrui !

Enfin Mark Twain explique avec chiffres à l’appui à quel point le taux de mortalité des kanaks sur les plantations est phénoménal : 180 pour mille les six premiers mois, alors que sur leurs îles le taux de mortalité annuel est de 12 pour mille!

Puis c’est l’arrivée à Sydney en Australie :

Captain Cook found Australia in 1770, and eighteen years later the British Government began to transport convicts to it. Altogether, New South Wales received 83,000 in 53 years. The convicts wore heavy chains; they were ill-fed and badly treated by the officers set over them; they were heavily punished for even slight infractions of the rules;” (Ch 10 )

Mark Twain est sans concession : le gouvernement britannique ne peut en aucun cas être qualifié de « nation civilisée » pour laisser exiler avec tant de cruauté des personnes à peine coupables de menus larcins.

 “We are obliged to believe that a nation that could look on, unmoved, and see starving or freezing women hanged for stealing twenty-six cents’ worth of bacon or rags, and boys snatched from their mothers, and men from their families, and sent to the other side of the world for long terms of years for similar trifling offenses, was a nation to whom the term « civilized » could not in any large way be applied.”

Après l’arrivée des bagnards et de leurs gardiens, arrivèrent les colons, de respectables fermiers que le gouvernement voulait protéger, entre autres des aborigènes, pourtant si dispersés sur le vaste territoire et si peu dérangeants. L’armée régulière ayant refusé de prendre en charge cette protection, l’Angleterre enrôla une milice spéciale, tristement représentative, nous dit Mark Twain, de la moralité de l’Angleterre qui n’avait pas été envoyée au bagne, et qui porta un coup terrible à la colonie, en prenant illégalement le contrôle du commerce des marchandises importées et en imposant leurs prix. Comme il y avait peu d’argent liquide, le rhum devenait une monnaie d’échange. Les fermiers furent totalement dépossédés de leurs biens.

In one instance they sold a man a gallon of rum worth two dollars for a piece of property which was sold some years later for $100,000.” ( Ch 10 )

Il fallut vingt ans de plus pour que le gouvernement reprenne contrôle de la situation, puis on découvrit le potentiel incroyable du pays et ce fut la prospérité.

Prosperity followed, commerce with the world began, by and by rich mines of the noble metals were opened, immigrants flowed in, capital likewise. The result is the great and wealthy and enlightened commonwealth of New South Wales.

It is a country that is rich in mines, wool ranches, trams, railways, steamship lines, schools, newspapers, botanical gardens, art galleries, libraries, museums, hospitals, learned societies; it is the hospitable home of every species of culture and of every species of material enterprise, and there is a church at every man’s door, and a race-track over the way.”

Mais le voyage autour du monde de Mark Twain est celui d’un américain endetté qui n’a pas eu le choix. En Australie comme aux Etats Unis, la prospérité ne se fait pas sans traverser des crises financières dévastatrices qui ressemblent en tout point à notre actualité. Le système était déjà en place. Emprunt, endettement, spéculation, effondrement, faillite, impossibilité de rembourser, ce système que Thoreau avant lui dénonçait et refusait déjà, Mark Twain le détaille :

Speculators took hold, now, and inaugurated a vast land scheme, and invited immigration, encouraging it with lurid promises of sudden wealth. (…)

The crowds continued to come, prices of land rose high, then higher and still higher, everybody was prosperous and happy, the boom swelled into gigantic proportions.(…)

The provincial government put up expensive buildings for its own use, and a palace with gardens for the use of its governor. The governor had a guard, and maintained a court. Roads, wharves, and hospitals were built. All this on credit, on paper, on wind, on inflated and fictitious values—

(…) Then all of a sudden came a smash. Bills for a huge amount drawn by the governor upon the Treasury were dishonored, the land company’s credit went up in smoke, a panic followed, values fell with a rush, the frightened immigrants seized their gripsacks and fled to other lands, leaving behind them a good imitation of a solitude…” ( Ch 18)

Le voyage de Sydney à Melbourne se fait en train, en 17 heures, avec changement de train à la frontière, le tout conté non sans humour, comme le sont toutes les traversées ferroviaires de Following the Equator. L’auteur contemple forêts, chalets isolés, villages, oiseaux, et mentionne à nouveau les aborigènes, pour déplorer leur absence, même des musées !! Une fois de plus Mark Twain ne peut s’empêcher de relever les similitudes avec le statut des indiens américains :

We saw birds, but not a kangaroo, not an emu, not an ornithorhynchus, not a lecturer, not a native. Indeed, the land seemed quite destitute of game. But I have misused the word native. In Australia it is applied to Australian-born whites only. I should have said that we saw no Aboriginals—no « blackfellows. » And to this day I have never seen one. In the great museums you will find all the other curiosities, but in the curio of chiefest interest to the stranger all of them are lacking. We have at home an abundance of museums, and not an American Indian in them. It is clearly an absurdity, but it never struck me before.”

Faits incroyables et autres absurdités, il nous donne des chiffres étourdissants : la part phénoménale des revenus de l’Australie dans le commerce extérieur du royaume britannique en comparaison avec l’insignifiance de sa population. Tant de richesses produites par un pays si peu peuplé, et où les peuples aborigènes, considérés comme des sous-hommes,  semblent être tenus à l’écart du visiteur étranger:

  “a member of a race charged by some people with occupying the bottom place in the gradations of human intelligence.”, peuple dont les performances et la connaissance de la nature sont pourtant, insiste Mark Twain les preuves d’un degré de sagacité et de sophistication inatteignable par l’homme blanc.

Mark Twain n’a vraiment pas peur des mots, ni des chiffres, il accuse :

It must have been race-aversion that put upon them a good deal of the low-rate intellectual reputation which they bear and have borne this long time in the world’s estimate of them.”

The white man knew ways of reducing a native population 80 percent. in 20 years. The native had never seen anything as fine as that before.”

For example, there is the case of the country now called Victoria—a country eighty times as large as Rhode Island, as I have already said. By the best official guess there were 4,500 aboriginals in it when the whites came along in the middle of the ‘Thirties. Of these, 1,000 lived in Gippsland, a patch of territory the size of fifteen or sixteen Rhode Islands: they did not diminish as fast as some of the other communities; indeed, at the end of forty years there were still 200 of them left. The Geelong tribe diminished more satisfactorily: from 173 persons it faded to 34 in twenty years; at the end of another twenty the tribe numbered one person altogether. The two Melbourne tribes could muster almost 300 when the white man came; they could muster but twenty, thirty-seven years later, in 1875.” (chap 21) 

Parmi les pires horreurs, Mark Twain rapporte l’élimination d’une tribu entière empoisonnée par un gâteau à l’arsenic, et il répète :

There are many humorous things in the world; among them the white man’s notion that he is less savage than the other savages;”

non sans avoir comparé leur sort à celui des kanaks de nouvelle Calédonie, dépossédés de leurs terre de force, n’ayant plus que quelques sous à dépenser pour acheter le faux ami, le whisky de l’homme blanc, qui n’a pas la radicalité du gâteau à l’arsenic, mais la même efficacité.

It is robbery, humiliation, and slow, slow murder, through poverty and the white man’s whisky.”

Puis, chapitre 27, il raconte l’extermination totale des populations aborigènes de Tasmanie :

As far as Tasmania is concerned, the extermination was complete: not a native is left.”

The White population numbered 40,000 in 1831; the Black population numbered three hundred. Not 300 warriors, but 300 men, women, and children ; »

Ces trois cents derniers héros résistants furent finalement persuadés de s’exiler sur des îles où en quelques années, la dernière femme mourut en 1876.

Yet they had no poet to keep up their heart, and sing the marvel of their magnificent patriotism.”

Mark Twain le déplore : il n’est nul poète pour chanter des louanges à l’inégalable courage des vaillants peuples de Tasmanie ! Il faut donc y remédier, et louer leur incroyable combat jusqu’au dernier souffle. Et Mark Twain, ironique, ajoute :

These were indeed wonderful people, the natives. They ought not to have been wasted. They should have been crossed with the Whites. It would have improved the Whites and done the Natives no harm.”

En nouvelle Zélande, Mark Twain par contre constate, toujours sur le ton de l’humour, que le sort des maoris a été plus enviable que celui des natifs d’Australie et de Tasmanie :

It is a compliment to them that the British did not exterminate them, as they did the Australians and the Tasmanians, but were content with subduing them, and showed no desire to go further.”

And it is still another compliment to the Maoris that the Government allows native representation—in both the legislature and the cabinet, and gives both sexes the vote. And in doing these things the Government also compliments itself; it has not been the custom of the world for conquerors to act in this large spirit toward the conquered.”

The highest class white men who lived among the Maoris in the earliest time had a high opinion of them and a strong affection for them.”

Le voyage continue, Mark Twain et sa famille s’embarquent pour Ceylan et pour l’Inde. C’est l’occasion pour l’auteur de constater que les méthodes esclavagistes de son enfance, qu’il croyait révolues, sont encore totalement d’actualité en Inde. A son arrivée à Bombay, il décrit une scène qui l’offusque, d’un serviteur giflé en public pour avoir mal nettoyé ou mal réparé une porte vitrée, et qui lui remémore un évènement dramatique 50 ans en arrière, lorsqu’un esclave fut tué pour le même genre de faute insignifiante, dans l’indifférence générale :

I had not seen the like of this for fifty years. It carried me back to my boyhood, and flashed upon me the forgotten fact that this was the usual way of explaining one’s desires to a slave. I was able to remember that the method seemed right and natural to me in those days, I being born to it and unaware that elsewhere there were other methods; but I was also able to remember that those unresented cuffings made me sorry for the victim and ashamed for the punisher.”

Par ailleurs émerveillé par la multitude des sensations ressenties, l’Inde reste pour lui le pays de tous les extrêmes, terre de rêves et de romance, de richesses et de pauvreté fabuleuses, de splendeurs et de loques, de palaces, de taudis, de famine, de pestilence, des cents langues et nations, des mille religions et deux millions de divinités, berceau de l’espèce humaine et du langage, mère de l’histoire…il n’en finit pas de s’extasier, étonné, fasciné, consterné, Mark Twain raconte les meurtres sanglants commis par les « Thugs » , des bandes de criminels qui terrorisent les campagnes, et bien sûr il ne peut pas s’empêcher de comparer :

We white people are merely modified Thugs; Thugs fretting under the restraints of a not very thick skin of civilization; Thugs who long ago enjoyed the slaughter of the Roman arena, and later the burning of doubtful Christians by authentic Christians in the public squares, and who now, with the Thugs of Spain and Nimes, flock to enjoy the blood and misery of the bullring.” (Ch 47)

Mark Twain ne s’étonne pas que cette étonnante civilisation indienne, divisée en 80 langues et nations, en plusieurs centaines de gouvernements, n’ait pas réussi à s’unir pour prospérer. Il explique que ces divisions, encore plus ancrées par le système des castes, a empêché d’éradiquer les sociétés parallèles de groupes criminels :

“ India had the start of the whole world in the beginning of things. She had the first civilization; she had the first accumulation of material wealth; she was populous with deep thinkers and subtle intellects; she had mines, and woods, and a fruitful soil. It would seem as if she should have kept the lead, and should be to-day not the meek dependent of an alien master, but mistress of the world, and delivering law and command to every tribe and nation in it.” (Ch 43 )

Bien sûr aux cents langues et nations s’additionnent les millions de dieux, prêtres, fakirs, mendiants sacrés, rencontrés à Bénarès ! L’humour de Mark Twain est alors intarissable… détourner les Indiens de leurs croyance n’est pas sans espoir pour les divers groupes de missionnaires…… :

Benares is a religious Vesuvius. In its bowels the theological forces have been heaving and tossing, rumbling, thundering and quaking, boiling, and weltering and flaming and smoking for ages. But a little group of missionaries have taken post at its base, and they have hopes. There are the Baptist Missionary Society, the Church Missionary Society, the London Missionary Society, the Wesleyan Missionary Society, and the Zenana Bible and Medical Mission.” (Ch 51 )

Déplorant une fois de plus l’irrespect de nos civilisations, il revendique personnellement son absolu respect pour les croyances des hommes pieux rencontrés en Inde qui choisissent de tourner le dos à l’opulence et aux richesses :

Reverence for one’s own sacred things—parents, religion, flag, laws, and respect for one’s own beliefs—these are feelings which we cannot even help. They come natural to us; they are involuntary, like breathing. There is no personal merit in breathing. But the reverence which is difficult, and which has personal merit in it, is the respect which you pay, without compulsion, to the political or religious attitude of a man whose beliefs are not yours. (…)

But it is very, very difficult; it is next to impossible, and so we hardly ever try. If the man doesn’t believe as we do, we say he is a crank, and that settles it. I mean it does nowadays, because now we can’t burn him.” (Ch 53 )

Sur la route de l’Himalaya, Mark Twain s’extasie. La splendeur des paysages, les innombrables villages, la beauté des hommes travaillant dans les champs, tout l’émerveille.

Il constate alors, impressionné, qu’aucune femme ne travaille dans les champs. Une fois de plus, il ne peut s’empêcher de comparer à ce dont il a été témoin en Europe quelques années plus tôt, en Bavière, et en France et relate alors son dernier voyage dans la vallée du Rhône, où, dans le froid et la pluie, des femmes de tous âges travaillaient comme des bêtes de somme :

« With the exception of a very occasional woodenshod peasant, nobody was abroad in this bitter weather—I mean nobody of our sex. But all weathers are alike to the women in these continental countries. To them and the other animals, life is serious; nothing interrupts their slavery.(…)

At last a vigorous fellow of thirty-five arrived, dry and comfortable, smoking his pipe under his big umbrella in an open donkey-cart-husband, son, and grandson of those women! He stood up in the cart, sheltering himself, and began to superintend, issuing his orders in a masterly tone of command, and showing temper when they were not obeyed swiftly enough.” (Ch 55)

Sans pitié pour le français qu’il retrouve ensuite à l’auberge en train de s’empiffrer tout en lisant des histoires de saints missionnaires , Mark Twain, ironique à souhait, et véritablement dégouté, écrit :

For two hundred years France has been sending missionaries to other savage lands. To spare to the needy from poverty like hers is fine and true generosity. »

A longueur de texte, il dénonce l’hypocrisie, des religions, des civilisations dominantes, et quand il ne comprend pas, il décrit les aberrations. Les traditions indiennes demeurent pour lui les plus incompréhensibles, les plus inexplicables, il est impossible de retrouver leurs origines, comme par exemple sort réservé aux « suttees », ces veuves qui se sacrifient à la mort de leur mari :

No—you can never understand it. It all seems impossible. You resolve to believe that a widow never burnt herself willingly, but went to her death because she was afraid to defy public opinion. But you are not able to keep that position.” (Ch 48)

Mark Twain constate que le sort réservé aux femmes diffère énormément d’un pays à l’autre, en Nouvelle-Zélande, il est admiratif et aimerait que l’Amérique s’en inspire :

In New Zealand women have the right to vote for members of the legislature, but they cannot be members themselves. The law extending the suffrage to them went into effect in 1893.” (Ch 32 )

Il commente un texte officiel :

« A feature of the election was the orderliness and sobriety of the people. Women were in no way molested. »

Et il ajoute qu’aux Etats-Unis, l’un des arguments contre le vote des femmes a toujours été qu’elles ne pouvaient se rendre aux urnes sans se faire insulter !

Depuis le début du mouvement pour les droits de la femme, les femmes ont réussi à faire changer pacifiquement les lois, et pour cela elles méritent le respect :

Men could not have done so much for themselves in that time without bloodshed—at least they never have; and that is argument that they didn’t know how. The women have accomplished a peaceful revolution, and a very beneficent one; and yet that has not convinced the average man that they are intelligent, and have courage and energy and perseverance and fortitude. It takes much to convince the average man of anything; and perhaps nothing can ever make him realize that he is the average woman’s inferior—yet in several important details the evidence seems to show that that is what he is.”

Tout a l’honneur de la Nouvelle-Zelande, Mark Twain ajoute :

In the New Zealand law occurs this: « The word person wherever it occurs throughout the Act includes woman. »

Homme indigné par toutes les hypocrisies, il dénonce tantôt le whisky de l’homme blanc en Australie, tantôt le rhum devenu monnaie d’échange. Les commentaires sur l’usage de l’alcool comme arme destructrice ne manquent pas :

En Afrique du sud, il décrit le conflit entre les Boers et les réformateurs britanniques,

The State would not pass a liquor law; but allowed a great trade in cheap vile brandy among the blacks, with the result that 25 per cent. of the 50,000 blacks employed in the mines were usually drunk and incapable of working.” ( Ch 66)

L’Afrique du Sud est pour lui le pays de toutes les injustices :

Mr. Rhodes and his gang have been following the old ways.—They are chartered to rob and slay, and they lawfully do it, but not in a compassionate and Christian spirit.”

Il considère la condition des travailleurs noirs sud-africains pire que celle des esclaves américains :

This is slavery, and is several times worse than was the American slavery which used to pain England so much; for when this Rhodesian slave is sick, super-annuated, or otherwise disabled, he must support himself or starve—his master is under no obligation to support him.”

Mark Twain termine son récit par une diatribe contre le tout puissant Cecil Rhodes, le richissime magnat des mines de diamants, qui a donné son nom à la Rhodésie :

Rhodesia is a happy name for that land of piracy and pillage, and puts the right stain upon it.”

Les millions de dollars que rapportent les mines de diamants sont étourdissants :

The De Beers Company dig out $400,000 worth of diamonds per week, now. The Cape got the territory, but no profit; for Mr. Rhodes and the Rothschilds and the other De Beers people own the mines, and they pay no taxes.”

Décrivant le travail des mineurs noirs dans ces mines, il ironise sur la générosité des compagnies des mines envers ceux qui découvrent des diamants de valeur :

The deep mining is done by natives. There are many hundreds of them. They live in quarters built around the inside of a great compound. (…)

Some years ago, in a mine not owned by the De Beers, a black found what has been claimed to be the largest diamond known to the world’s history; and, as a reward he was released from service and given a blanket, a horse, and five hundred dollars. It made him a Vanderbilt. He could buy four wives, and have money left. Four wives are an ample support for a native. With four wives he is wholly independent, and need never do a stroke of work again.”

( Ch 69)

Il existe pourtant, aux yeux de Mark Twain, une beauté plus grande, plus éblouissante que celle du diamant rose, cette beauté d’une valeur inégalable, accessible à tous et qui ne coûte rien, est celle de la Nature :

Nothing is so beautiful as a rose diamond with the light playing through it, except that uncostly thing which is just like it—wavy sea-water with the sunlight playing through it and striking a white-sand bottom.”

Nature

La nature grandiose, sublime, interpelle en tout lieu le voyageur rempli d’humilité, qui tantôt s’émerveille, tantôt dénonce l’extermination des espèces.

Les traversées en bateau sont l’occasion de rencontres et d’échanges. L’auteur s’instruit auprès d’un jeune naturaliste de Nouvelle Zélande, qui lui parle du Moa, oiseau géant sans ailes, espèce rapidement exterminée, cette fois par les Maoris à leur arrivée en Nouvelle Zélande :

The Moa stood thirteen feet high, and could step over an ordinary man’s head or kick his hat off; and his head, too, for that matter. He said it was wingless, but a swift runner. The natives used to ride it.” (Ch 8 )

C’est avec humour que Mark Twain raconte l’extermination des derniers Moas par la compagnie des chemins de fer qui voulait s’emparer du monopole de la livraison du courrier !

Le sort de la jacasse et du dingo n’est guère plus enviable :

In time man will exterminate the rest of the wild creatures of Australia, but this one will probably survive, for man is his friend and lets him alone. Man always has a good reason for his charities towards wild things, human or animal when he has any. In this case the bird is spared because he kills snakes. If L. J. will take my advice he will not kill all of them.”

The dingo is not an importation; he was present in great force when the whites first came to the continent. (..) He is the most precious dog in the world, for he does not bark. But in an evil hour he got to raiding the sheep-runs to appease his hunger, and that sealed his doom. He is hunted, now, just as if he were a wolf. He has been sentenced to extermination, and the sentence will be carried out. This is all right, and not objectionable. The world was made for man—the white man.” (Ch 19)

Les descriptions des paysages, et particulièrement des arbres, très imagées, quasi photographiques, solennelles, contrastent avec le ton tantôt humoristique, tantôt accusateur de Mark Twain, qui semble alors retrouver le calme et le bonheur dont il a bien besoin :

There were several varieties of gum trees; among them many giants. Some of them were bodied and barked like the sycamore; some were of fantastic aspect, and reminded one of the quaint apple trees in Japanese pictures. And there was one peculiarly beautiful tree whose name and breed I did not know. The foliage seemed to consist of big bunches of pine-spines, the lower half of each bunch a rich brown or old-gold color, the upper half a most vivid and strenuous and shouting green.” (Ch 18)

Mais écrire la Nature n’est pas chose facile. Mark Twain cède alors la parole à une auteure qu’il apprécie, Mrs Praed :

« The loneliness of the Australian bush can hardly be painted in words. Here extends mile after mile of primeval forest where perhaps foot of white man has never trod—interminable vistas where the eucalyptus trees rear their lofty trunks and spread forth their lanky limbs, from which the red gum oozes and hangs in fantastic pendants like crimson stalactites; ravines along the sides of which the long-bladed grass grows rankly; level untimbered plains alternating with undulating tracts of pasture, here and there broken by a stony ridge, steep gully, or dried-up creek. » (Ch 21 )

En Nouvelle Zélande à nouveau les forêts, dont le bois précieux fournit les parquets européens, l’impressionnent :

Sometimes these towering upheavals of forestry were festooned and garlanded with vine-cables, and sometimes the masses of undergrowth were cocooned in another sort of vine of a delicate cobwebby texture—they call it the « supplejack, » I think. Tree ferns everywhere—a stem fifteen feet high, with a graceful chalice of fern-fronds sprouting from its top—a lovely forest ornament. And there was a ten-foot reed with a flowing suit of what looked like yellow hair hanging from its upper end.” ( Ch 34)

Puis inlassablement en Inde :

After a while we stopped at a little wooden coop of a station just within the curtain of the sombre jungle, a place with a deep and dense forest of great trees and scrub and vines all about it. (…) As for the vegetation, it is a museum. The jungle seemed to contain samples of every rare and curious tree and bush that we had ever seen or heard of. It is from that museum, I think, that the globe must have been supplied with the trees and vines and shrubs that it holds precious.”( Ch 55)

Enfin Mark Twain revient aux espèces animales sauvages (le tigre, le loup, le léopard, l’ours, l’éléphant, la hyène, et le serpent), pour la destruction desquelles le gouvernement britannique indien a dépensé des sommes considérables. Il donne des chiffres :

In six years the tiger killed 5,000 persons, minus 50; in the same six years 10,000 tigers were killed, minus 400.

The wolf kills nearly as many people as the tiger—700 a year to the tiger’s 800 odd—but while he is doing it, more than 5,000 of his tribe fall.

The leopard kills an average of 230 people per year, but loses 3,300 of his own mess while he is doing it.

The bear kills 100 people per year at a cost of 1,250 of his own tribe.

Bien sûr ces animaux sauvages s’attaquent également au bétail!

In response, the government kills, in the six years, a total of 3,201,232 wild beasts and snakes. Ten for one.” (CH 57)

Vêtements

Plus encore que devant la magnificence de la nature et de ses forêts grandioses aux arbres géants surchargés de fougères extravagantes, plus que face au spectacle féérique des rayons du soleil sur les vagues jouant avec le sable blanc, plus que fasciné par la steppe australienne aux tons mélancoliques, plus que devant l’étincelant Taj Mahal comparable aux tempêtes de verglas de son enfance, Mark Twain s’extasie et chante la splendeur et l’éblouissante vivacité des couleurs des vêtements de chaque individu, hommes, femmes, enfants, en Inde et à Ceylan, patchwork lumineux d’étoffes rayonnantes dont l’harmonie parfaite rend les costumes et uniformes occidentaux si ternes, laids et pathétiques.

“…what a dream it was of tropical splendors of bloom and blossom, and Oriental conflagrations of costume! The walking groups of men, women, boys, girls, babies—each individual was a flame, each group a house afire for color. And such stunning colors, such intensely vivid colors, such rich and exquisite minglings and fusings of rainbows and lightnings! And all harmonious, all in perfect taste; never a discordant note; never a color on any person swearing at another color on him or failing to harmonize faultlessly with the colors of any group the wearer might join.” (…)

Just then, into this dream of fairyland and paradise a grating dissonance was injected.

Out of a missionary school came marching, two and two, sixteen prim and pious little Christian black girls, Europeanly clothed—dressed, to the last detail, as they would have been dressed on a summer Sunday in an English or American village. Those clothes—oh, they were unspeakably ugly! Ugly, barbarous, destitute of taste, destitute of grace, repulsive as a shroud.” ( Ch 37 )

Mark Twain prend alors conscience de ses propres vêtements et se sent terriblement honteux de se trouver dans la rue si tristement vêtu.

Mais le prix de la laideur revient aux costumes des Boers en Afrique du Sud :

Their clothes were very interesting. For ugliness of shapes, and for miracles of ugly colors inharmoniously associated, they were a record. The effect was nearly as exciting and interesting as that produced by the brilliant and beautiful clothes and perfect taste always on view at the Indian railway stations. One man had corduroy trousers of a faded chewing gum tint. And they were new—showing that this tint did not come by calamity, but was intentional; the very ugliest color I have ever seen.” ( Ch 68)

Humour

Décidément, le ton est à l’humour, envers et contre tout. On ne peut s’empêcher de citer les piques lancées aux uns et aux autres :

Au sujet de l’île Maurice : « une île sous contrôle français, c’est-à-dire une communauté qui dépend des quarantaines et non de l’hygiène pour sa santé » (Ch 62 )

Arrivant en Nouvelle Zélande et s’adressant au lecteur : «  Si je ne craignais pas de donner l’impression de vantardise, je dirais au lecteur où se trouve la Nouvelle Zélande, car il est comme je l’étais, il croit savoir. »

La promenade en éléphant :

By and by to the elephant stables, and I took a ride; but it was by request—I did not ask for it, and didn’t want it; but I took it, because otherwise they would have thought I was afraid, which I was.” (Ch 45 )

L’homme qui promène un basset :

He said that when he walked along in London, people often stopped and looked at the dog. Of course I did not say anything, for I did not want to hurt his feelings, but I could have explained to him that if you take a great long low dog like that and waddle it along the street anywhere in the world and not charge anything, people will stop and look.”

Enfin, et pour terminer, cette anecdote, qui, je ne sais pas pourquoi, me fait mourir de rire -peut-être parce qu’elle me rappelle un souvenir personnel – où Mark Twain, pour mettre fin à une discussion plus qu’animée entre écossais, anglais, américains, canadiens, australiens, concernant la prononciation d’un mot, et pour prendre le parti de l’écossais, invente deux vers du célèbre poète écossais, Robert Burns, comme preuve irréfutable de son affirmation :

 

It ended the discussion. There was no man there profane enough, disloyal enough, to say any word against a thing which Robert Burns had settled.”(Ch 5)

Et pour en revenir à Mark Twain, l’homme qui ne se révèle jamais qu’à demi :

There are people who think that honesty is always the best policy. This is a superstition; there are times when the appearance of it is worth six of it.”

En conclusion

Pour que Following the Equator, dernier récit de voyage de Mark Twain, écrit à la fin du XIXème siècle, ne devienne pas uniquement ce que Twain appelle un « classique »  (un livre dont on fait l’éloge et qu’on ne lit pas), il est temps de donner à lire ce texte étonnant, si riche, baroque, coloré, indigné, moral, instructif, totalement d’actualité, si proche de nous, apte à nous enseigner plus que jamais le respect, nous rappeler qui nous sommes, nous appeler à un peu plus d’humilité, car nous habitons une planète sublime qui ne nous appartient pas, peuplée d’espèces végétales et animales fascinantes, y compris la nôtre si riche et créative, mais également si puissante, égoïste, injuste.

« En suivant l’Equateur » est une traduction possible de Following the Equator. Le titre de Mark Twain, cependant, est une sorte de « monde en soi » qui ne se traduit pas.

P.Mathex 03/03/12

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