La condition tropicale de Francis Hallé

La condition tropicale de Francis Hallé

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Avec La condition tropicale, essai de Francis Hallé, publié en 2010 aux Editions Actes Sud, notre site En suivant l’Equateur est, comme annoncé précédemment, de retour en zone intertropicale.

L’auteur, Francis Hallé, botaniste et biologiste, spécialiste de l’architecture des arbres et de l’écologie des forêts tropicales humides, nous dévoile la réalité d’un espace qui nous est cher : les basses latitudes. L’ouvrage, riche de références et illustré en grande partie par l’auteur lui-même, explore les champs disciplinaires les plus variés : astronomie, géophysique, climatologie, géographie, anthropologie, économie, et bien sûr biologie et botanique, pour décrire et interpréter cette vaste zone qui abrite, on le sait, les dernières grandes forêts tropicales humides primaires de la planète, et dont l’importance dans tous les domaines de la connaissance, reste, dans nos pays et nos cultures des moyennes et hautes latitudes, si peu comprise. Après une introduction  en suivant l’équateur  « à la manière de Mark Twain » – un détour – la présentation de l’ouvrage respectera sa chronologie de manière à rester le plus près possible du propos de l’auteur.

Références et remerciements : La condition tropicale, Francis Hallé, Editions Actes Sud, 2010

La condition tropicale de Francis Hallé

Nous y voilà, c’était attendu, En suivant l’Equateur est de retour en zone intertropicale. Grâce aux travaux du botaniste Francis Hallé, nous appréhendons mieux aujourd’hui l’importance et la réalité des tropiques. Son essai, La condition tropicale, publié en 2010 chez Actes Sud, décrit et interprète ces zones mal connues, aux caractéristiques si éloignées des représentations mentales qui gèrent et structurent la compréhension du monde des habitants des latitudes moyennes. Francis Hallé, tout au long de son ouvrage, et pour appuyer son propos, fait référence à de très nombreux travaux d’experts scientifiques issus de toutes disciplines, et témoignages de voyageurs ou d’habitants des tropiques. Constatant par ailleurs que le langage scientifique, qui reste à la base de cet ouvrage, manque singulièrement de poésie, il sollicite écrivains, poètes et philosophes, dont la sensibilité permet d’approcher de plus près la réalité des tropiques.

Richement illustré, l’ouvrage est complété par une longue bibliographie et plusieurs index qui facilitent la lecture du texte. Il est à noter que les passages surlignés dans l’article qui suit, ne correspondent pas aux passages surlignés dans La condition tropicale, mais à des points qui nous intéressent particulièrement.

On ne peut que remercier le scientifique, dont les travaux nous permettront de comprendre qu’aborder la zone intertropicale demande une remise en question totale de notre vision du monde à l’occidentale, à commencer par notre conception linéaire du temps, envahissante, pour ne pas dire « impérialiste », même en littérature, et qui ne convient pas à la réalité tropicale. En effet, plus on s’approche de la ligne d’équateur, plus la notion de constance – longueur des jours, températures, humidité – devient une valeur première et incontournable, au point que même la notion d’année perd consistance. Cette réalité atteint son summum au cœur des grandes forêts tropicales humiques qu’on ne peut appréhender, décrire, conter, sans restituer cette constance et son emprise absolue sur notre aptitude à ressentir et comprendre, et sans contourner obligatoirement nos habitudes narratives ou explicatives linéaires.

En effet, le temps sous les tropiques n’est pas linéaire mais cyclique :

« Mon temps à moi, celui que j’avais rapporté d’Europe, avance sans cesse et il est marqué par des évènements qui le découpent en « avant » et « après » ; c’est d’ailleurs d’une telle évidence que j’ai mis longtemps à admettre que mon point de vue était relatif, lié à ma culture, et qu’il pouvait donc exister d’autres manières de concevoir l’écoulement du temps. » p.264

écrit Francis Hallé, qui cite également Claude Lévi-Strauss :

« La notion de temps n’avait plus de place dans l’univers où je pénétrais. »p.264

Cette exigence de « décalage » d’avec nos habitudes mentales justifie son appel aux artistes, qui, eux-mêmes ne font pourtant qu’approcher l’incroyable réalité tropicale. Il faut en effet accepter que la réalité du monde tropical dépasse largement tout ce que l’homme occidental peut imaginer ou rêver. Francis Hallé qui, enfant, rêvait des tropiques en lisant Kipling, nous l’assure :

«…il arrive, et c’est le cas, que la réalité soit plus étrange encore que le rêve. » p. 102

Il cite également le généticien Theodosius Dobzhansky :

« En forêt tropicale, la variété des lignes et des formes dépasse tout ce que les surréalistes, ensemble, ont jamais pu rêver. » p.146

On aimerait ajouter que, même Henri Michaux, le poète, dont les animaux fantastiques semblent jaillir d’une imagination personnelle sans contrainte, avait lui-même bel et bien traversé la forêt amazonienne, et l’extraordinaire réalité à laquelle il avait été confronté avait sans aucun doute investi à son insu son espace poétique.

Un détour

Avant d’aborder l’essai de Francis Hallé en respectant scrupuleusement sa progression, un détour s’impose donc pour saluer une fois de plus Mark Twain, Flora Tristan, Chinua Achebe – dont la disparition nous attriste aujourd’hui – et Catherine Mavrikakis auxquels nous renvoie sans cesse la lecture de La condition tropicale : lorsque Francis Hallé évoque le temps nécessaire au voyage à l’époque de la marine à voile, le « passage de la ligne », l’étrangeté des « Doldrums », ou lorsqu’il nous rappelle le sort tragique des Tasmaniens ou des aborigènes d’Australie, la multiplicité des langues et religions de l’Inde, la colonisation, la fascinante nuit tropicale, ou l’extermination des espèces animales :

« Jusqu’au milieu du XXe siècle, c’était le plus souvent en bateau que les Européens se rendaient dans les tropiques…..Le temps ne manquait pas pour s’habituer, au fur et à mesure, aux surprises qu’offrait le climat de chaque escale… » p.67

« De mon point de vue, l’Equateur a un trajet passionnant et il est aussi, dit-on, l’un des repères du dieu Neptune, que l’on évoquait lors du « passage de la ligne » à l’époque de la marine à voiles. » P.62

« Dans les parages de l’équateur, les alizés faiblissent, d’où l’angoisse des navigateurs qui qualifient ces régions de « pot au noir » (pour les marins anglais : doldrums, le marasme, le cafard.) »p.76

« Le problème posé par la pigmentation cutanée des Tasmaniens risque, hélas, de n’être jamais résolu, puisque les malheureux ont été extermines jusqu’au dernier a l’époque coloniale. » p225

Au sujet des peuples aborigènes, et citant Germaine Greer :

« …pour eux, les débuts de la colonisation furent terrifiants. Parmi les colons, « les plus insensibles décidèrent que le moyen le plus humain de gérer cette myriade de peuples, qui ne pourraient jamais s’adapter au régime de l’homme blanc, serait de les éliminer le plus rapidement possible. Ils s’appliquèrent donc à les abattre et à les empoisonner. » p.475

L’Inde « abritant des centaines de langues et de dialectes, et toutes les religions du monde ! »p.473

On se souvient à nouveau de Mark Twain dénonçant l’extermination des espèces animales lorsque Francis Hallé écrit, au sujet de la domestication des animaux de grande taille :

« N’oublions pas non plus qu’un animal mort est définitivement rebelle à toute domestication ; cela explique peut-être l’absence de gros animaux domestiques originaires d’Australie, de Nouvelle Guinée ou d’Amérique centrale : l’être humain, lorsqu’il s’est installé dans ces régions, les a exterminés, comme il a continué à le faire à des époques plus récentes avec les oiseaux géants de Nouvelle-Zélande (moas) et de Madagascar (Aepyornis), ou avec les dodos (Raphus) de l’Ile Maurice. » p.325

Ou bien

«…renforcer la solidarité de l’espèce humaine avec l’ensemble du monde vivant apparaît comme un but indispensable, et même urgent. » p.241

On pense également à Flora Tristan comparant l’Amérique du Nord à L’Amérique du sud, lorsque Francis Hallé demande :

« Les conditions difficiles ont-elles favorisé la recherche de solutions aux problèmes matériels, et rendu les gens plus inventifs ? » p.329

Ou bien lorsqu’il cite des ethnologues :

«  Alors que le schéma suivant : exploration – conquête brutale – développement économique, est à peu près applicable aux Etats Unis, il l’est beaucoup moins au Brésil.. »p.466

Ses propos sur la colonisation, et ses conséquences tragiques pour les Amérindiens, nous renvoient au roman de Catherine Mavrikakis, ainsi qu’au triste sort des villageois nigérians du roman de Chinua Achebe. On se rappelle aussi la folle poursuite nocturne de ces derniers à travers la forêt tropicale, lorsque Francis Hallé, à son tour, nous décrit la forêt, la nuit :

« La nuit est calme et fraîche, sonore, marquée de temps à autre par un orage lointain ou la plainte d’un rapace nocturne comme un « solo » au-dessus du tendre concert des rainettes, par-dessus le plongeon d’une grosse bête inconnue ou la chute d’un arbre, très loin, de l’autre côté du fleuve. » p.120

Enfin, pour terminer ce détour « en suivant l’Equateur », on aimerait étendre à la littérature les propos du scientifique américain Marston Bates, auteur d’une première synthèse tropicaliste importante, cité par Francis Hallé, concernant le savoir scientifique :

« Nous devons garder en mémoire les relations entre les choses, ne pas perdre de vue que tout le savoir humain est continu et nous souvenir que, si une partie de ce savoir se trouve isolée des autres et cultivée exclusivement pour elle-même, son succès ne durera pas longtemps. » p.21

Et Francis Hallé d’ajouter :

« Les disciplines scientifiques actuelles sont à ce point cloisonnées qu’il est devenu incongru de s’exprimer en dehors du domaine de recherche dans lequel on s’est spécialisé ; et pourtant, à supposer que les questions les plus importantes ne puissent trouver de réponse que sur la base d’une conception holiste du réel, alors les hyperspécialistes se condamneraient à ne jamais pouvoir les résoudre.» p.22

Il est temps, maintenant que le décor est en place, et la couleur annoncée, de présenter La condition tropicale, essai de Francis Hallé, paru en 2010 aux éditions Actes Sud.

Pourquoi une réflexion sur les tropiques ?

« …pour nombre de spécialistes, les tropiques n’ont aucune importance, ne servent à rien, ou même n’existent pas. Faut-il donc baisser les bras ? Le clivage de notre planète en matière d’économie étant devenu intolérable, l’indifférence des spécialistes suscite plutôt un sentiment d’urgence.» p.13

A cette indifférence des spécialistes, s’ajoute une vision totalement erronée véhiculée par les médias, le cinéma et les agences de voyage:

« Nos médias, dont on attendrait plus d’impartialité dans le choix des sujets qu’ils évoquent, contribuent à cette indifférence en donnant de ces régions une image négative, voire quasiment infernale ;(…) . Le cinéma alimente la même veine…(…) il est bien naturel que le public en vienne à concevoir de l’appréhension vis à vis de ces régions et de la méfiance envers ceux qui y vivent.

Les agences de voyages et les responsables du tourisme dans les pays concernés tentent de réagir avec des images évoquant l’Eden…. » p.14

« Enfer ou paradis ? Nous sommes piégés entre les caricatures. » p.14

Pour réfléchir à ce que sont objectivement les régions tropicales, Francis Hallé propose de les comparer aux latitudes tempérées que nous connaissons mieux.

Qui est l’auteur, Francis Hallé ?

Quelle est sa légitimité, son parcours ? Donnons-lui la parole :

« Je suis botaniste et fier de l’être ; jamais, même l’espace d’un instant, je n’ai regretté d’exercer ce métier qui m’a apporté et m’apporte encore, de multiples satisfactions et un vrai bonheur, fondé sur le sentiment d’être exactement à ma place. Mais j’ai 70 ans, ce qui, on en conviendra, autorise à porter un regard global sur l’existence. Peu à peu, j’ai acquis la conviction qu’au plan professionnel ma grande affaire n’a pas été la seule étude des plantes mais bien celle des régions tropicales… » p.14

C’est donc d’abord en tant que botaniste que l’auteur va régulièrement visiter les tropiques,

« plus particulièrement les latitudes équatoriales où les flores les plus riches et les moins connues du monde se déploient avec la notoire exubérance qu’autorise l’absence de contrainte physique autre que la gravité, formant ainsi de formidables, splendides, prestigieuses et sombres forêts. » p.15

Il vivra longtemps dans ces régions et, persuadé de leur importance bien au-delà de la botanique, l’auteur essaie d’en rechercher une vision synthétique.

« ..à chaque fois, la même impression étrange m’envahit, l’impression apaisante, bien qu’un peu illégitime, de retrouver mes racines, non pas mes courtes racines personnelles bien sûr, mais, plus profondément, les très antiques racines de l’espèce zoologique à laquelle j’appartiens. »p.15

Les tropiques n’évoquent cependant pas uniquement chez Francis Hallé des souvenirs d’une nature sublime, il y rencontre également

« des personnes sympathiques, honnêtes, hospitalières, travailleuses et douées d’un remarquable humour. Parmi elles, j’ai le souvenir d’esprits supérieurs et de gens d’une qualité humaine exceptionnelle. »

Hélas, il y découvre aussi « des paysages ruinés, abandonnés, calcinés, de monstrueuses décharges où survivent de pauvres gens, des slums, des bidonvilles et de favelles ou les mères baignent leurs enfants dans l’égout… »p.16

Le but de l’ouvrage est annoncé :

« …ce livre vise justement à comprendre pourquoi la situation contemporaine se trouve marquée par tant d’abandon, de trahison et de dérélictions. » p.16

Les tentatives de l’auteur de répondre à ce questionnement ne manqueront pas d’étonner le lecteur habitué à « voir le monde » d’un point de vue très occidental. La condition tropicale nous permet enfin de mettre en perspective cette notion de tropicalité, qui est avant tout à fondement astronomique.

Qu’est-ce que la tropicalité ?

Les impressions sont les mêmes que l’on soit en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud : on est entre les tropiques, avant d’être dans tel ou tel pays, quel que soit le continent. Pourtant les géographes semblent avoir des difficultés à s’accorder sur une définition des tropiques, et être confrontés à cette même question : pourquoi l’économie moderne n’y fonctionne pas ?

Citant le géographe Christian Grataloup :

« Le fait le plus délicat est la relative superposition de la zone bioclimatique intertropicale et des pays pauvres. » (…)

C’est, dit-il, une question « taboue » p.19 que Francis Hallé formule de cette manière :

 « Pourquoi l’humanité ne s’est-t-elle pas développée au même rythme sur les différents continents ? »p19

Regrettant par ailleurs que les économistes fassent abstraction de la notion de tropicalité pour expliquer la pauvreté dans le monde, Francis Hallé annonce qu’une synthèse valable demande d’additionner les acquis des différentes disciplines.

Pour résumer :

« Les tropiques dérangent, parce qu’ils n’entrent pas dans les habitudes intellectuelles des économistes, du grand public et même de la plupart des géographes.. » p.19

Apres avoir défini les termes « pauvreté » et « misère » (« La pauvreté est le manque du superflu, la misère est le manque du nécessaire. » p.25), l’auteur précise :

« j’emploierai indifféremment les expressions « basses latitudes », « pays tropicaux », et « pays pauvres » dont je suis convaincu qu’elles s’équivalent. » p. 25

La démarche de Francis Hallé est donc la suivante :

« Pour tenter de comprendre ce qu’est cette « tropicalité» qui me fascine et dont l’empreinte est si forte sur tous les aspects de la vie quotidienne aux basses latitudes, j’ai dressé l’inventaire des caractères du monde tropical comparé au reste de la Terre, de l’astronomie à l’anthropologie, de la botanique à l’économie. Cette démarche est inverse de celle de la plupart des voyageurs, plutôt friands de particularités : j’ai préféré m’attacher à l’étude des constantes. Parmi ces dernières, seules ont été conservées celles qui méritent d’être qualifiées de « marques » puisqu’elles sont spécifiques de toute la ceinture tropicale… » p.26

Vivre sur une sphère en croyant qu’il s’agit d’un plan

L’être humain, nous explique Francis Hallé, est depuis toujours confronté à la difficulté de concevoir la rotondité de la terre, et par conséquent de se situer par rapport aux autres peuples.

« Si l’être humain était beaucoup plus grand qu’il n’est, la rotondité de la terre lui apparaîtrait clairement. Le Petit Prince ne doutait pas de la forme sphérique de son astre, tandis que nous sommes trop petits pour comprendre la forme du nôtre. » p.33

Cette difficulté se retrouve dans le langage, et nombre de termes liés à l’orientation portent à confusion. Ainsi, les termes de « Nord », « Sud », « Est », « Ouest » n’ont qu’une définition relative, les notions d’ « Orient » et d’ « Occident » restent des termes ambigus, et l’idée de « bout du monde » porte à sourire.

De plus, la terre tourne sur elle-même, et cela introduit de nouvelles difficultés de compréhension.

« Cette rotation de notre terre sur elle-même nous influence à notre insu » p.34

L’impression qui en résulte, que le soleil tourne autour de la terre d’Est en Ouest, a modelé nos représentations mentales. Francis Hallé cite à nouveau Claude Lévi-Strauss :

« Il ne dépend pas de nous que (…) pour tous les hommes, la direction est-ouest, soit celle de l’accomplissement. » p.34

D’autres facteurs perturbent notre aptitude à nous représenter objectivement notre planète :

« En outre, les terres émergées sont très inégalement réparties entre les deux hémisphères, ce qui nous prédispose, nous qui sommes du Nord, à sous-estimer l’hémisphère austral. Enfin, les diverses régions sont fort dissemblables et, bien entendu, chacun a une prédilection pour la sienne, dont il pense qu’elle est « le centre du monde ». p.34

« « Orient » et « Occident » sont aussi des termes ambigus. Censés designer l’est et l’ouest, ils traduisent en fait de complexes représentations mentales ou la politique et le nationalisme se mêlent à la culture, au style de civilisation et au niveau d’opulence matérielle. » p.35

Cette cacophonie dans notre représentation du réel indigne véritablement l’auteur, car elle est indissociable du problème de l’inégalité entre les peuples. Pour lui, en effet,

« ce problèmes des inégalités, de toute évidence implique des variables spatiales.. »p.39

Il cite alors, pour remettre les choses en ordre, un texte d’Inchauspé :

« On parle volontiers aujourd’hui du dialogue Nord-Sud, c’est-à-dire des relations entre pays riches du Nord et pays pauvres du Sud. En fait, riches et pauvres ne se divisent pas entre Nord et Sud, mais entre pays tempérés et pays tropicaux. » p.39

Cette remise en perspective, nous permet d’aborder la notion de tropicalité de manière plus objective.

La terre : astronomie et géophysique

Les données astronomiques sont fondamentales et incontournables pour comprendre les tropiques, nous explique Francis Hallé. Une seule espèce aime à oublier ces données fondamentales, la nôtre, et cet oubli est terrible cause d’erreurs.

« L’astronomie, même si elle tend à être perdue de vue par les politiciens et les économistes, est à la base de toute l’écologie planétaire et a donc une importance décisive dans les affaires humaines. » p.43

« …l’énergie dont nous disposons vient du soleil, la terre est quasiment sphérique et l’énergie solaire nous parvient donc en quantité variable selon les latitudes. »

Quelques explications :

« La terre est animée de deux mouvements distincts, une rotation sur elle-même en 24 heures autour de l’axe des pôles, et une translation – ou révolution – annuelle autour du soleil dans le plan de l’écliptique.. »

« Il se trouve que l’axe de la translation annuelle et celui de la rotation propre de la Terre ne sont pas parallèles. (…) Ces deux axes seraient-ils parallèles, les tropiques n’existeraient pas et il m’eût été impossible d’écrire ce livre. » p. 45

L’angle constant de 23°27’ 8’’qui sépare ces deux axes est qualifié d’ « angle tropical ». Il est à l’origine du fait que la Terre possède des tropiques solaires.

Pour résumer :

« La bande tropicale est le lieu des points de la surface terrestre pouvant recevoir le rayonnement solaire à la verticale, les deux tropiques eux-mêmes étant les limites de cette bande. » p.49

On peut ainsi diviser la surface terrestre en cinq zones sur des bases strictement astronomiques : Les « hautes latitudes » nord et sud, les « moyennes latitudes » nord et sud (ou « latitudes tempérées »), et enfin les « basses latitudes » (ou « latitudes tropicales » ou « ceinture intertropicale »).

Francis Hallé annonce alors :

« Sur le terrain, cette zonation astronomique a des conséquences incroyablement nombreuses et variées. » p.52

Les tropiques n’ont pas d’hiver au sens que nous donnons à ce terme en Europe. Les crépuscules sont très brefs. La photopériode (proportion jour-nuit au cours des 24h) est constante au niveau de l’équateur (12h-12h), et varie très peu au cours de l’année dans le reste de la zone intertropicale. Par contre, plus on s’en éloigne, plus cette proportion jour-nuit varie, et entraîne l’apparition des saisons telles que nous les connaissons dans nos régions tempérées.

« La photopériode « 12/12 » est une situation que nous connaissons en Europe, mais qui n’est observable que…2 jours par an, aux équinoxes, ce qui signifie que les jours sont égaux aux nuits. » p.54

Ce paramètre photopériodique, négligé dans le monde scientifique, est pourtant d’une importance fondamentale.

« Il semble pourtant être l’un des éléments les plus importants de notre environnement, même pour l’être humain… » p.55

A noter que « la terre possède également des tropiques lunaires, qui sont les limites de l’aire géographique où il est possible d’observer la lune au zénith. » Les tropiques lunaires, parallèles aux tropiques solaires, varient de 12°.

« Entre les tropiques lunaires, la lune passe au zénith deux fois par mois. (…) Entre les tropiques, la lune se lève et se couche presque à l’horizontale et elle monte très haut toute l’année, à plus de 38° ; elle exerce une profonde influence sur beaucoup d’êtres vivants dont les insectes nocturnes. »

On se permet de souligner ce qui ne peut être sans conséquences :

« Lorsqu’elle est pleine, la lune des tropiques a une luminosité étrangement forte qui permet, par exemple, de lire les petites annonces du journal. » p.57

Coriolis et autres mécanismes géophysiques.

« La rotation de la terre sur elle-même entraîne vers l’est, à des vitesses de plus en plus grandes, des régions situées à des latitudes de plus en plus basses. » p.58

Ce marqueur des tropiques est d’une importance suffisante pour être appliqué au lancement des fusées afin de profiter de la force centrifuge.

« La force de Coriolis liée à la vitesse de rotation terrestre, est nulle à l’équateur et ne devient importante qu’à 10° de latitude, où elle dévie un mobile vers la droite dans l’hémisphère nord, vers la gauche dans l’hémisphère sud. » p.59

De même, le champ magnétique terrestre est faible à l’équateur, et nettement plus intense dans les régions polaires.

Toutes ces marques des tropiques, ne sont pas sans importance, et Francis Hallé se désolidarise de ceux qui définissent les tropiques sans faire référence explicite à l’astronomie.

Les tropiques du Cancer et du Capricorne délimitent donc

« une bande circulaire de 5206 kilomètres de largeur, représentant 40% de la surface terrestre et 29% des terres émergées.

Sur un total de 231 pays, cette ceinture intertropicale de la Terre concerne 116 pays, dont 90 en totalité et 26 en partie. » p.60

Quels territoires, quelles villes, quelles mers, traversera donc le voyageur, qui fera le tour du monde en suivant véritablement l’équateur ?

« L’équateur, à 0°, long d’un peu plus de 40000 kilomètres, passe à Libreville, capitale du Gabon, et à Kampala, capitale de l’Ouganda, sur la côte nord du lac Victoria, coupe en deux l’archipel des Maldives, passe à 40 km au sud de Singapour, partage les îles de Sumatra et Bornéo, traverse le pacifique en laissant la Polynésie française au sud ; il passe ensuite par les îles Galapagos et Quito, capitale de l’Equateur, avant de traverser la forêt amazonienne 300 kilomètres au sud de Manaus, et de ressortir en atlantique dans l’estuaire de l’Amazone, près de Belém. » p.62

Les climats

Les climats tropicaux sont-ils toujours chauds ?

Depuis longtemps, écrit Francis Hallé, les régions tropicales sont considérées avant tout comme des régions chaudes. Il nous explique que, si en effet la chaleur tropicale est liée au fait que sous les tropiques le rayonnement solaire est concentré sur une surface plus réduite, et parcourt une distance plus courte qu’à des latitudes plus hautes, et s’explique une fois de plus par des critères astronomiques, des températures beaucoup plus élevées peuvent cependant s’observer à nos latitudes tempérées.

« A l’inverse, pour peu que l’on s’élève en altitude, les régions tropicales peuvent être fraîches et même réellement froides. (…) Une moyenne de 12,6°C fait de Quito (0° 15’S), à la latitude de l’équateur et à 2850 mètres d’altitude, une ville vraiment fraîche. »p.72

Après avoir remis en question la pertinence du terme « tempéré » pour qualifier les climats d’Europe, qui peuvent en peu de temps passer d’une chaleur torride à un froid glacial, et que nous devrions qualifier de climats «à saisonnalité thermique », l’auteur explique que « les climats de la bande intertropicale se distinguent par des températures qui, à l’échelle de l’année, ne changent guère. » p.73

Les mots-clés : permanence, constance

« Beaucoup plus qu’une forte chaleur, ce qui caractérise vraiment un climat tropical est la permanence des températures, toute l’année, en une localité donnée. » p.73

Cette constance a des conséquences très importantes :

« La ceinture intertropicale accumule une énergie formidable, d’où son rôle majeur comme moteur de la météorologie mondiale. » p.75

« Les climatologues, météorologues et océanographes l’ont montré : du fait de l’énorme apport de chaleur solaire aux basses latitudes, la ceinture intertropicale fournit l’énergie nécessaire à la circulation atmosphérique sur l’ensemble de la Terre, par l’intermédiaire de systèmes de transferts d’énergie depuis les latitudes basses vers les moyennes et les hautes. » p.75

Ce transfert d’énergie concerne également les courants marins, qui régissent en grande partie les climats de la planète, et sont responsables de terribles violences climatiques.

« A la remarquable permanence des températures signalée plus haut vient s’ajouter, au moins à proximité de l’équateur, une constance pluviométrique presque parfaite d’un mois à l’autre. A cette latitude, aucune saison n’apparaît véritablement. » p.77

Quand on s’éloigne de l’équateur, un contraste apparaît entre saison sèches et saison des pluies.

Pluies d’été et saisons tropicales

Entre les tropiques, les saisons sont « pluviométriques », et non « thermiques ». Les pluies tropicales suivent de quelques semaines les deux passages annuels du soleil au zénith : ce sont des pluies d’été. Ces pluies d’été méritent qu’on s’y attarde un peu car elles ne ressemblent en rien à ce que l’on connait en Europe, pas même aux violents orages de fin d’après-midi qui s’abattent sur nos montagnes, dans les Alpes ou ailleurs. L’auteur nous les décrit ainsi :

« Nullement discrètes, ces pluies d’été sont des phénomènes météorologiques d’une puissance et d’une beauté inoubliables ; et, lorsque la pluie est là, on a la surprise de constater qu’elle est parfois bien chaude… » p.81

Ce n’est pas étonnant :

« La bande tropicale, avec le tiers des terres émergées, reçoit les trois cinquièmes des pluies continentales mondiales ; on y trouve les zones les plus pluvieuses du monde – Indonésie, bassins de l’Amazone et du Congo – ainsi que des records de précipitations. » p.82

Au niveau des deux tropiques, on trouve par contre des régions sèches, à travers toute l’Afrique, l’Arabie, le désert de Thar au Rajasthan, et au sud au Chili, en Namibie, à l’extrême sud malgache et le Grand Désert central australien. La saison des pluies y est alors brève et violente.

«  L’arrivée des pluies correspond à une période de l’année riche en sensations et parfois fort éprouvante ; cela commence souvent par un « temps lourd » précédant l’arrivée de l’orage. » p.83

Terrifiants cyclones

Grâce aux explications de Francis Hallé, on comprend maintenant pourquoi l’île de Bornéo, traversée par l’équateur, n’est pas affectée par les cyclones. Ceux-ci, nous expliquent l’auteur,

« ne peuvent pas (…) se former à moins de 5 ° de latitude, c’est-à-dire à moins de 500 km de l’équateur, car la force de Coriolis est nécessaire à leur fonctionnement. (…) ils se déplacent vers l’ouest à la vitesse de 20 à 30 kilomètres/heure, en restant dans les latitudes tropicales.» p.87

Les cyclones tropicaux font d’énormes dégâts et disparaissent en arrivant aux latitudes tempérées. Ils sont un marqueur climatologique des basses latitudes très meurtrier.

El Niño : lorsque le climat se dérègle.

El Niño est un dérèglement climatique au caractère aussi dévastateur que les cyclones, mais plus insidieux. On l’observe à des intervalles irréguliers de 2 à 7 ans. C’est un phénomène limité dans le temps qui, contrairement au réchauffement climatique annoncé en ce début de XXIe siècle, dont les effets négatifs seront surtout sensibles aux basses latitudes, laisse place à un retour du climat antérieur. Il consiste en une modification des courants et de la température des eaux dans le Pacifique et a pour conséquences de causer entre autres la sècheresse en Asie et en Australie et des inondations dans les Andes, et qui a aussi des répercutions au niveau mondial.

« Au cours des dernières décennies, les années les plus dures ont été 1976-77, 1982-83, et surtout 1997-1998, lorsque des feux se sont déclarés dans toutes les forêts « humides », de Sumatra a la Nouvelle-Guinée, couvrant toute cette région de fumées épaisses, causant des collisions de navires dans le détroit de Malacca, la perte d’un avion près de Medan (Sumatra-Nord) et de nombreuses intoxications. » p.93

Géographie et paysages, roches et sols

La tropicalité se fait sentir, non pas dans les couches profondes, mais dans les sols et la biosphère. Les paysages caractéristiques des régions tropicales doivent leurs particularités au fait que l’eau, associée aux bactéries, entraîne une altération chimique qui donne naissance aux glacis, reliefs en demi-orange, inselbergs, ou autres karst spectaculaires.

On y trouve également les fleuves les plus puissants du monde. Ces cours d’eau

« véhiculent essentiellement des particules fines, argileuses ou sableuses, et non des graviers ou des galets, à la différence de ce qui se passe sous nos latitudes. Ces particules sont beaucoup trop fines pour que les cours d’eau puissent creuser efficacement leurs lits. En conséquence, les tracés en plan sont remarquables par leurs coudes, méandres, zigzags et baïonnettes, tandis que les profils en long sont marqués par d’innombrables rapides, que les Guyanais appellent des « sauts ».p.102

« Parmi les 15 plus importants cours d’eau du monde, 11 sont tropicaux sur l’essentiel de leur parcours. » p.103

Le charbon, le pétrole, le gaz naturel, ont une origine tropicale. La dérive des continents a entraîné par la suite beaucoup de ces carburants fossiles hors de basses latitudes où ils s’étaient formés.

« …il est bon de se souvenir que, si nos carburants fossiles contiennent tant d’énergie, c’est qu’ils proviennent des tropiques où le rayonnement solaire la fournit en abondance. » p. 105

Les sols tropicaux sont très différents des sols de nos régions à hivers froids et étés chauds.

« Un premier fait remarquable, au moins dans les régions les plus humides : la roche mère est altérée jusqu’à des profondeurs pouvant atteindre une centaine de mètres, contre 1 à 2 mètres seulement en Europe. Cette puissante altération est due à l’abondance des pluies, ajoutée à la rapidité d’infiltration des eaux interstitielles, d’autant plus fluides qu’il fait plus chaud, et à une intense activité bactérienne pendant toute l’année. » p.106

Il résulte de cette altération des sols un fait qui n’est pas insignifiant 

« il est parfois presque impossible de se procurer de véritables pierres et ces dernières peuvent alors devenir des objets de grand prix, comme pour les Papous des plaines côtières méridionales de Nouvelle-Guinée. » p.107

On se permet ici, en suivant l’équateur, de poser la question suivante : est-ce là l’explication de cet engouement des peuples tropicaux, pour les colliers de verroteries qui ont servi, en Afrique et ailleurs, de monnaie d’échange contre terres et esclaves ?

Une autre caractéristique des sols tropicaux, nous explique l’auteur, est leur coloration rouge, due à leur richesse en fer. Ils sont par ailleurs pauvres en phosphore, potassium et azote. En effet, les sols tropicaux ne contiennent de la matière organique que sur quelques centimètres d’épaisseur. La matière organique tombant au sol, à l’origine de la production d’humus, est rapidement détruite par les microorganismes dont l’activité est 5 à 10 fois plus intense que dans les sols tempérés.

L’auteur réfute cependant l’idée communément acceptée de la pauvreté des sols tropicaux :

« Pour ma part, je ne trouve pas logique de qualifier de « pauvres » des sols qui portent les forêts tropicale, des végétations exubérantes, à la fois les plus complexes de la planète et les plus riches sur le plan biologique.» p.112

« La solution, dans bien des cas, serait d’apprendre à maîtriser la culture de ces végétaux encore peu connus, les arbres, et de pratiquer l’agroforesterie. » p.112

La biologie tropicale

L’auteur aborde maintenant un sujet qui nous touche particulièrement : la forêt tropicale humide. Il nous explique son importance, son infinie complexité, son indescriptible splendeur, et le sort désastreux qui lui est réservé :

La forêt

« La grande forêt qui s’étend de part et d’autre de l’équateur, dans la région la plus humide des tropiques, est au cœur de la biologie de la planète. » p.115

« La grande forêt des tropiques est en train de mourir, et bientôt, il ne nous restera d’elle que des idées fausses. Elle a été – elle est encore – défigurée, voire abondamment calomniée. » p.115

Francis Hallé nous explique alors à quel point il est difficile de la décrire de façon réaliste.

« …cette difficulté tient à ce que, paradoxalement, le langage scientifique ne donne pas accès à l’objectivité : les données chiffrées ne suffisant pas à décrire le réel, il convient de les enrichir avec ce que nous disent nos sens. » p 115

L’auteur dénonce alors le style « enfer vert » « qui a longtemps marqué les récits de voyage et reste encore très présent chez nos contemporains. », le style «  écolo-angélique » qui « pèche par une surabondance d’images (…) d’une beauté excessive » et dont la juxtaposition trahit la réalité beaucoup plus austère, il regrette aussi le style « scientifique » truffé de chiffres, de courbes et de tableaux dont le discours rationnel a banni toute sensualité.

L’auteur réduira donc, dans son ouvrage, le langage scientifique à l’essentiel, et en guise d’introduction à la forêt, il entraînera avec lui le lecteur dans une marche féerique de trois jours, du sombre sous-bois jusqu’à la canopée resplendissante devenue accessible grâce au « radeau des cimes », marche dont nous citerons ici obligatoirement quelques passages :

« Sommes-nous à Bornéo, au Gabon, ou en Amazonie équatorienne ? Peu importe. Etonnant paradoxe, les hautes forêts équatoriales d’Amérique, d’Afrique, d’Asie et de Mélanésie sont identiques entre elles, même si la flore et la faune diffèrent totalement d’un continent à l’autre. » p.119

Apres avoir traversé jardins et vergers, les marcheurs partis avant l’aube pénètrent dans le sous-bois.

« De façon assez soudaine, l’ambiance change ; le bruit de nos pas devient plus sourd, comme si nous entrions sous un auvent, les feuilles sont moins chargées de rosée et la brume nous entoure ; des réseaux de racines forment une sorte de dallage sur le sentier, reliant les unes aux autres les bases des troncs couverts de mousse. Nous sommes dans le sous-bois ; dans l’air totalement immobile s’élève des odeurs d’humus, de bois pourri et de feuilles mortes… » p.120

« ..le petit matin est l’heure de gloire de la forêt, l’heure des lumières divines et du chant des oiseaux. » p.121

« Nous ne voyons aucun animal dangereux ; d’ailleurs les rares animaux que nous croisons – un varan, un rongeur, une timide couleuvre – sont craintifs et s’enfuient dans un bref crissement de feuilles mortes. Les seuls dangers sont de se perdre – mais cela ne nous arrivera pas, nous avons un guide… »

La canopée 

« Un grand choc, climatique, esthétique, émotionnel, attend le grimpeur qui, par une belle matinée ensoleillée, sort du trou d’homme, à 45 mètres de hauteur, encore étourdi par l’effort, ( …) la lumière est éblouissante, le soleil au zénith et le thermomètre indique 39°C à l’ombre. Quelle ombre ? » p.126

«  Autour de nous, le feuillage des arbres est d’une densité telle qu’il est impossible de voir le sol ; à peine devine-t-on, au travers du filet noir d’aramide, de grosses branches couvertes d’épiphytes, fougères et orchidées. Les feuilles des arbres, coriaces, brillantes, et de dimensions plutôt modestes, contrastent avec celles des lianes, dont les palmes majestueuses des rotins. » p.127

« Les fleurs, rares en sous-bois, ici sont chez elles et on en voit partout, dans des positions insolites, sous des formes et des couleurs inattendues : celles-ci, semblables à de petits ballons roses surmontés d’étoiles violettes, sont celles d’un Symphonia dont elles couvrent les branches horizontales ; celles-là, jaune d’or, toutes dressées dans le même sens avec leurs étendards et leurs éperons, sont si nombreuses qu’elles donnent à la cime du Vochysia l’allure d’une montagne de fleurs aux couleurs tellement vives qu’elle semble éclairée par l’intérieur, attirant un vol de colibris… » p.128

L’arrivée de l’orage sur la canopée :

« Le coup de vent est brutal ; les cimes qui s’inclinent révèlent soudain leurs armatures internes. Les mots manquent pour décrire le parcours torturé d’énormes branches couvertes de jardins d’épiphytes, l’ascension verticale des troncs hors des ténèbres sous-jacentes, la danse échevelée des lianes. »

« Le concert nocturne de la canopée défie toute description ; les notes aquatiques et flutées des innombrables rainettes arboricoles en constituent l’essentiel, surmontant un vaste bruit de fond dont les auteurs ne se laissent pas identifier et où les ultrasons des chauves-souris ont peut-être leur part. De temps à autre on distingue le chant des grillons, le cri des oiseaux de nuit, les appels des mammifères arboricoles, lémurs ou écureuils volants, au milieu d’autres cris animaux aux sons et aux timbres divers. » p.131

« Alors, face à une canopée plus belle que jamais, il nous restera à affronter les véritables difficultés inhérentes à cet écosystème vierge : sans repères connus, l’être humain n’est plus chez lui et il souffre d’un flagrant défaut d’adaptation. Sa banque de donnée cérébrale submergée par d’incessantes nouveautés, il ressent alors la pénurie de catégories mentales adéquates, la faiblesse de ses aptitudes physiques, la pauvreté de son langage et l’insuffisance de ses mécanismes intellectuels, face à un milieu d’une complexité inégalée. » p.132

La canopée est le milieu le plus riche en espèce et le plus vivant du monde. Sa complexité est telle que nous éprouvons des difficultés à la concevoir et donc à la décrire. Le plus grave étant que nous sommes en train de détruire avec acharnement cet écosystème encore inconnu. On comprend qu’un auteur qui y a consacré sa vie entière ne puisse accepter cette aberration qu’il est urgent de dénoncer avec lui.

« Nous le savons tous : les grandes forêts des tropiques sont en train de disparaitre sous nos yeux et le rythme de cette disparition ne cesse d’augmenter. » p.133

Le récif de corail

La condition tropicale, de Francis Hallé, n’est cependant pas uniquement consacré aux forêts équatoriales, mais bien à toute la zone intertropicale, où se trouve un autre écosystème fascinant : le récif de corail.

« Au niveau mondial, la carte de répartition des récifs coralliens dessine la ceinture intertropicale avec une bonne précision. » p.138

« Les coraux tropicaux, pratiquant la symbiose avec des algues unicellulaires, vivent en surface, dans des eaux chaudes et lumineuses, et utilisent l’énergie solaire pour édifier des récifs calcaires énormes, solides et durables. » p.140

Les coraux sont des animaux et non des plantes. Les récifs sont « Des montagnes de roches faites de l’agencement de minuscules et tendres animaux, disait Darwin »

« La Grande Barrière, au nord-est de l’Australie, est la plus vaste construction jamais édifiée par des êtres vivants. » p.140

L’auteur nous décrit alors les innombrables interactions, associations, parasitisme, mimétisme, symbiose, entre les espèces vivant dans les récifs. Il considère le récif et la forêt des basses latitudes comme les deux sommets de la biologie tropicale.

« Le récif, comme la forêt des basses latitudes, détient des records en matière de diversité biologique ; mais cela se passe dans des contextes différents puisque la diversité marine ne représente que 15% de la diversité mondiale actuellement décrite, les continents étant bien plus riches en espèces que les océans. » p.145

Les deux sont également liés par la menace de disparition qui leur pèse dessus. En résumé,

« la biologie est profondément marquée par la tropicalité et il en résulte la diversité biologique la plus élevée du monde. » p.145

Diversité biologique et évolution

Depuis les années 1950, grâce à des scientifiques comme Marston Bates, Paul W.Richards ou T. Dobzhansky, les biologistes ont commencé à comprendre l’intérêt majeur de la biologie tropicale. Avant cela, les espèces de nos régions tempérées étaient considérées comme la norme.

Les tropiques, paradis de la botanique !

« Dans la majorité des cas, il est possible et même aisé de déterminer si une plante est tropicale ou originaire des latitudes moyennes. » p.152

« L’une des différences, on l’a vu, porte sur les contrastes esthétiques, une autre correspond à la raréfaction des types biologiques au sein d’une même famille, lorsque la latitude augmente. » p.152

En résumé, les plantes tropicales sont beaucoup plus exubérantes, de types biologiques plus variés, de dimensions plus extrêmes, que sous les latitudes moyennes.

« Les travaux des paléobotanistes ont conduit à cet intéressant résultat : tous les grands groupes de plantes, y compris les plantes à fleurs, ont pris naissance dans les régions tropicales. » p.154

« Les plantes, en s’éloignant de l’équateur, en s’aventurant vers de latitudes plus élevées, s’adaptent à des climats de plus en plus rudes ; cette adaptation, qui consiste à la fois en une miniaturisation et en un enfouissement dans le sol, a été qualifiée d’ « involution ». p.154

L’auteur, après avoir décrit et illustré de nombreux dessins les caractéristiques spécifiques des plantes tropicales, qui paraissent si extraordinaires aux habitants des latitudes moyennes, se demande alors si la tropicalité se fait ressentir de la même manière chez les animaux.

« Je dois à Yves Gillon, entomologiste, l’idée suivante : « Alors que les plantes, du fait qu’elles sont fixées au sol, doivent obligatoirement s’adapter au climat qui se révèle donc lorsqu’on les observe, les animaux, étant mobiles, s’affranchissent plus aisément des déterminismes climatiques et ne révèlent pas facilement leurs origines. » » p.163

Quelques pistes sont cependant proposées pour reconnaitre des animaux tropicaux : la règle d’Allen, et la règle des dimensions extrêmes. Les animaux tropicaux auraient des prolongements corporels plus longs, et seraient d’autre part plus grands ou plus petits, plus lourds ou plus légers, que la moyenne des représentants de son groupe. Sous les latitudes tempérées par contre, les animaux sont de dimensions intermédiaires. L’auteur illustre ses propos de nombreux exemple.

« Une certitude, acquise au cours de la seconde moitié du XXe siècle : l’essentiel de la biodiversité se situe dans la ceinture intertropicale. Accéder à cette vision objective n’a pas été simple et beaucoup de scientifiques ont dû se résoudre à remettre en cause certaines de leurs convictions les mieux établies. L’histoire retiendra que cette question de la biodiversité des tropiques aurait pu être résolue beaucoup plus vite si elle ne s’était heurtée, dans le domaine des idées, à un véritable ethnocentrisme scientifique. » p.176

L’auteur nous explique que de nombreux scientifiques, dont les plus illustres, étant eux-mêmes originaires des latitudes moyennes tempérées, ont toujours orienté leurs recherches en considérant que les régions tempérées constituaient « la norme ».

L’auteur pose alors cette question :

« Pourquoi la norme, en matière de diversité biologique, devrait-elle être celle des régions tempérées ? » p.178

Admettons, dit-il, que la norme soit tropicale. Adopter une norme tropicale est pour un biologiste d’Europe, du Japon ou des Etats Unis,

« une vraie révolution intellectuelle qui demande un très grand effort. » p.178

L’auteur explique que si nous adoptions cette « norme tropicale », notre « vision » de la terre y gagnerait en clarté.

L’ethnocentrisme scientifique se retrouve également chez les naturalistes qui ont étudié le concept d’évolution biologique :

Francis Hallé posera cette question :

« Pourquoi, parmi ces illustres naturalistes, ne s’en trouve-t-il aucun qui soit originaire des basses latitudes ? » p183

Entre les tropiques, les interactions biotiques entre les espèces sont à leur maximum,

« les conditions de l’évolution ne sont pas les mêmes qu’aux latitudes moyennes ou prédominent les contraintes physiques. » p.196

Il en résulte une coévolution entre les espèces, dont l’auteur nous détaille de nombreux exemples fascinants, et qui caractérise également les tropiques.

Pour nous mener à notre espèce, l’auteur demande alors :

« Comment notre espèce trouve-t-elle sa place parmi les biodiversités maximales qui caractérisent les basses latitudes ? » p.203

Et comment se déroule le quotidien de l’homme au contact d’autant d’espèces vivantes ?

Essai d’anthropologie tropicale

L’être humain, nous dit Francis Hallé, est d’origine tropicale.

« S’il n’y a pas de consensus sur l’âge de l’être humain, il y en aurait un sur son lieu d’origine, que la plupart des paléoanthropologues situent en Afrique, près de l’équateur. Des indices récents amènent à évoquer plutôt une origine en Asie tropicale : cela n’a pas d’incidence sur ce qui suit. L’identité de nos ancêtres reste imprécise mais nous savons qu’ils vivaient dans les arbres, puis, quittant le statut de « seigneurs de la canopée », ils sont devenus terrestres et bipèdes. » p.208

« La haute diversité génétique des populations noires d’Afrique, presque égale à celle de l’humanité toute entière, corrobore l’origine de notre espèce en Afrique tropicale.  p.209

En 2008, nous dit l’auteur, 34% de la population mondiale vit sous les tropiques, et ce chiffre va augmenter.

Le fait que les habitants des régions tropicales soient confrontés à la plus grande diversité biologique présente de nombreux avantages dans les domaines de l’artisanat, la pêche, l’agroforesterie, la phytothérapie, mais aussi maints inconvénients dans l’agriculture où les plantes cultivées sont atteintes de nombreuses maladies. C’est également dans le domaine de la santé que l’homme des tropiques rencontre de plus grandes difficultés.

« Les questions de santé ont une importance lancinante aux basses latitudes. » p.211

Préserver sa santé et celle de ses proches est une préoccupation majeure des populations qui, pour l’immense majorité disposent de peu de ressources, et qui sont souvent fragilisées par des carences qui les affaiblissent. Les agents pathogènes sont d’autant plus nombreux que la biodiversité est élevée.

« Le paludisme reste la maladie la plus meurtrière du monde, presque exclusivement aux dépens des basses latitudes » p214

Cela influence bien sûr l’espérance de vie de vie à la naissance qui est de 49 ans en moyenne en Afrique noire.

Est-ce pour ces raisons que nos ancêtres ont quitté l’Afrique pour migrer vers les latitudes moyennes ?

Et que peut-on dire de la couleur de la peau des populations différemment réparties sur la planète ? Francis Hallé fait appel à l’anthropologue André Langaney qui écrit qu’il est

« probable que les premières populations humaines aient eu la peau foncée et que celles qui s’en sont détachées ultérieurement pour migrer vers le nord soient devenues progressivement plus claires. Dans ces conditions, il est bien évident que la couleur de la peau d’une population n’est un indicateur que de ses origines récentes (20000 à 40000 ans au plus) et non de ses origines lointaines. (…) La vue tient un rôle privilégié dans les perceptions et les communications humaines (…) La couleur de la peau fascine parce qu’elle saute aux yeux et se charge volontiers de toutes les frayeurs que recèle l’inconnu.» Les diables des blancs sont noirs ou rouges, et les Noirs ont des diables blancs. » p.222

Aborder la question de la couleur de la peau des populations est encore aujourd’hui, nous dit Francis Hallé, un sujet « sensible » du fait de l’intrusion de points de vue racistes. L’auteur ne veut pas cependant se laisser guider par des idées d’un autre âge :

« dans leur diversité, les couleurs de peau sont belles, leur déterminisme soulève un beau problème et l’enquête naturaliste conduit, on va le voir, à de bien curieux résultats. » p.223

Si à une époque, les couleurs ont servi pour découper l’humanité en « races », la biochimie et la génétique ont progressé et la notion de « races humaines » a perdu son assise scientifique. Mais, nous dit l’auteur, quels sont les faits ?

Les nuances de couleur de peau

« ne se répartissent pas de manière aléatoire, elles sont liées à la latitude et, si la force de cette liaison varie d’un continent à l’autre, elle est d’autant plus nette que les peuplements humains sont plus anciens. » p.224

Après avoir décrit le cas de chaque continent, l’auteur résume :

« Au niveau mondial, le bilan est celui-ci : même si à grande échelle des exceptions existent, l’être humain, malgré son extrême mobilité, respecte la répartition latitudinale des pigmentations cutanées. » p.226,

en précisant bien qu’il s’agit-là d’une règle collective, qui ne concerne pas l’individu.

Alors pourquoi les populations à peau sombre sont-elles caractéristiques des basses latitudes et celles à peau claire des moyennes et hautes latitudes ?

La théorie solaire, qui date de l’antiquité, explique cette répartition par la nécessité de se prémunir de l’excès ou du manque de rayonnement solaire. En d’autres termes, la peau noire protège des rayonnements ultraviolets qui causent les cancers de la peau, et la peau blanche permet de recevoir un rayonnement suffisant pour synthétiser la vitamine D nécessaire à la construction de notre squelette :

« Lors de la migration humaine hors d’Afrique, la perte de la pigmentation aurait été indispensable, au moins pour éviter le rachitisme et permettre la perpétuation de l’espèce. » p.229

Francis Hallé commente alors :

« Les spécialistes des sciences humaines exècrent – le mot est faible ! – ce qu’il est convenu d’appeler le déterminisme. Je n’aime pas non plus l’idée que nos actes puissent nous être dictés par les caractères physiques de notre environnement ; mais je crois qu’il faut aussi savoir s’incliner : c’est en fonction de la couleur de leur peau que les groupes humains se sentent « chez eux », à telle ou telle latitude, au point de s’y installer de façon définitive. Ils se croient libre, mais cela ne signifie pas qu’ils le soient. Spinoza avait compris cela mieux que personne : « Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres, et cette opinion consiste en cela qu’ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés. » » p.229

Une autre théorie, la théorie antimicrobienne, est avancée : « Une peau noire confèrerait un avantage dans la lutte contre les agents pathogènes faisant partie de la très haute diversité biologique des régions tropicales. » p231

La démographie tropicale.

On parle d’explosion démographique tropicale, l’auteur propose de replacer ce constat dans un contexte historique :

« Lorsque les médias parlent d’explosion démographique dans les pays en développement, ils n’ont évidemment pas tort. Mais ils omettent de rappeler que les pays riches ont eu, eux aussi, aux XVIIIe et XIXe siècles, leur transition démographique ; eux aussi ont eu une explosion de population, qui s’est d’ailleurs traduite par une expansion coloniale. » p.233

Francis Hallé pense que le retard de deux siècles des tropiques, est à mettre en parallèle avec les conditions sanitaires beaucoup plus difficiles qu’à nos latitudes.

« Pourquoi une si forte natalité tropicale ? C’est qu’un lien existe, bien connu des démographes, entre la pauvreté et la maladie d’une part, la fécondité de l’autre. Si les parents s’attendent à ce que plusieurs de leurs enfants meurent avant l’âge de cinq ans, ils multiplieront les naissances pour compenser cette mortalité. » p.234

Le fait est que l’accroissement de la population mondiale tient actuellement du fait des pays tropicaux. Après avoir également évoqué quelques différences comportementales entre les habitants des basses et hautes latitudes, l’auteur propose d’étudier une hypothèse intéressante, et sûrement d’une importance décisive, que nous allons ici détailler, pour nous aider à comprendre l’homme tropical :

L’hypothèse photopériodique.

La question posée par Francis Hallé est la suivante :

« D’un bout à l’autre de l’année, en région tropicale, la longueur des jours est presque constante, alors qu’elle varie beaucoup aux latitudes moyennes et que l’amplitude de cette variation augmente encore à mesure que l’on se rapproche des pôles. Cela a-t-il une influence sur l’être humain ? » p.241

La photopériode, est le nombre d’heures de lumière en un point du globe, pendant la journée de 24 heures.

« Le photopériodisme en un point est l’amplitude de variation annuelle de la photopériode en ce point. » p.242

La rotation quotidienne de la planète et sa translation annuelle, qui impliquent deux axes non parallèles, sont responsables de ce photopériodisme, autrement dit, il s’agit d’un phénomène astronomique.

« Ce n’est pas par hasard si tant d’êtres vivants ont des rythmes circadiens et circannuels. » p.242

Ces rythmes sont bien sur liés à l’environnement.

« Les plantes réagissent presque toutes aux variations de photopériode. Si, aux latitudes moyennes, beaucoup d’entre elles fleurissent au printemps, ce n’est pas que les températures redeviennent douces, mais que la longueur des jours augmente : avoine, trèfle, navet, jusquiame, épinard, mouron, rouge ou tournesol, etc. De même, si certaines plantes fleurissent à l’automne, c’est que la longueur des jours diminue : lierre, tabac, chanvre, chrysanthème, aster, colchique, etc. Il est vital que les plantes de la même espèce fleurissent en même temps, c’est pourquoi elles ont besoin d’un synchroniseur, d’un « donneur de temps » ou Zeitgeber, comme l’appellent les chrono-biologistes. » p.243

Le « Zeitgeber » prépondérant est la photopériode. Pour d’autres plantes comme la tomate, le « Zeitgeber » est la température.

Qu’en est-il des plantes tropicales ? Certains arbres et plantes tropicales sont sensibles à de très faibles variations de la longueur des jours. Une réduction de 18 minutes de la longueur des jours suffit à induire la floraison d’une Lamiacée tropicale. Le riz serait la plante la plus sensible.

Chez les oiseaux, le photopériodisme est responsable du déclanchement et de la synchronisation des comportements liés à la sexualité, ainsi que des migrations. Chez les mammifères, le photopériodisme « exerce une influence prépondérante sur des domaines très variés de la physiologie, dont l’ensemble des mécanismes liés à la sexualité et à la reproduction. (…) Les activités hormonales, l’entrée en hibernation, et le réveil printanier sont aussi tous sous la dépendance du photopériodisme. » p.244 y compris chez certains mammifères tropicaux, dont certains primates, sensibles à de faibles variations de la photopériode. Avant de s’arrêter sur le cas de l’être humain, il est important de comprendre le mécanisme qui permet de percevoir ces variations.

La glande pinéale ou « troisième œil »

La glande pinéale, située dans le cerveau de la plupart des vertébrés, est un indicateur de la durée de l’éclairement quotidien. Chez l’être humain, elle est située au centre de la masse cérébrale, les informations lui venant des yeux. Elle fonctionne à l’obscurité, et non à la lumière. Elle secrète la nuit, en tant que glande endocrine, la mélatonine, dont le taux dans le sang constitue une mesure de la durée du jour. Ces informations sont vitales pour le plantes et animaux des régions soumises à des hivers froids. Qu’en est-il de l’être humain ?

« La science, après l’avoir ignorée, puis en avoir nié l’importance, a lentement pris à son compte la question d’une influence du photopériodisme sur l’être humain, à l’issu d’une évolution des mentalités qui a commencé au milieu du XXème siècle. » p.250

Aujourd’hui les résultats des recherches sont clairs, l’être humain est sensible à la variation des jours.

L’exemple le plus connu étant la dépression hivernale, que l’on soigne par une exposition à une puissante lumière artificielle qui interrompt la sécrétion de mélatonine par la glande pinéale. Pareillement, un cachet de mélatonine vient aisément à bout du décalage horaire causé par un long vol en avion vers l’est qui vous prive d’une partie de la nuit.

Quels sont les comportements humains qui présentent un rythme annuel ?

« Depuis près de deux siècles, on sait que les conceptions ne sont pas uniformément réparties dans l’année, l’activité sexuelle étant pourtant uniforme chez l’être humain comme chez d’autre primates. » p.254

Cette constatation, qui n’est plus valable à l’équateur où les conceptions se répartissent de façon uniforme toute l’année, est considérée aujourd’hui liée à la photopériode, l’intensité lumineuse, et la mélatonine.

L’activité intellectuelle, la mortalité, la croissance des enfants, la quantité d’hémoglobine dans le sang, le besoin de sommeil, les manifestations d’anxiété, les agressions sexuelles, les déclarations de guerre sont également soumises à un rythme annuel pour les habitants des latitudes moyennes.

« L’être humain ayant un équipement cérébral comparable à celui des autres vertébrés, l’hypothèse photopériodique propose pour cette périodicité annuelle de nos comportements collectifs une explication plausible. » p.256

Mais cette hypothèse, qui ne remet pourtant pas en question notre liberté individuelle, déplait à certains car elle est déterministe.

« L’idée même que nous soyons soumis à des déterminismes continue à soulever de véhémentes protestations. » p.256

« Le déterminisme, qui ne soulève aucun problème lorsqu’il s’applique aux animaux, nous paraît inadmissible dès lors qu’il s’agit de l’être humain : notre dignité s’y oppose. Sommes-nous donc sensés échapper aux règles du monde vivant ? Ceux qui le prétendent devraient relire Montaigne. » p.257

Francis Hallé ajoute :

« Se considérer soi-même comme supérieur au milieu naturel, c’est se mettre en position de lui nuire ; la crise écologique actuelle n’aurait d’autre origine que ce sentiment de supériorité de l’homme sur la nature. » p.257

L’hypothèse est donc que les différences photopériodiques liées aux latitudes peuvent conduire à des comportements distincts entre les régions tropicales et les nôtres. Cette hypothèse pourrait éclairer trois domaines distincts du comportement humain :

«  – l’acquisition de ce que les chronobiologistes appellent le « temps courant » ;

– l’accès à cette forme très particulière d’agressivité vis-à-vis du réel qu’implique la recherche scientifique ;

– la conviction que, si les injustices deviennent insupportables, un bouleversement social nommé « révolution » peut être obtenu par synchronisation des efforts de la collectivité. » p.260

La psychologie tropicale

Comme l’a expliqué Francis Hallé, la conception de l’écoulement du temps diffère sous les tropiques et aux latitudes moyennes.

Sous les tropiques,

« le temps cyclique, ou « temps tournant », s’écoule en étroite relation avec les rythmes structuraux de notre planète d’accueil. » p.266

« Le temps linéaire ou « temps courant », celui auquel nous sommes habitués en Europe, coule continument et « fauche toutes les aspérités que sont les pics circadiens et saisonniers. » p.266

« Les basses latitudes favoriseraient-elles le temps tournant ? Ne serait-il pas une résultante des conditions tropicales elles-mêmes ? L’évidence plaide en ce sens : l’absence de saisons tranchées, des températures qui restent stables en permanence, des jours égaux aux nuits et dont la durée ne change pas, ou seulement dans d’étroites limites, tout cela donne à la notion d’année une importance quasi nulle.» p.269

Les conséquences, nous dit l’auteur, seraient énormes.

« La recherche, l’innovation, la compétition, l’exploitation des ressources, l’industrialisation de la production, l’accumulation des biens, toutes ces étapes constitutives de l’activité économique sont mieux à leur place dans le « temps courant » des latitudes moyennes que dans le « temps tournant » des tropiques. » p.270

Les habitants des tropiques, demande l’auteur, ont-ils vraiment tendance à la paresse comme leur reprochent les habitants des moyennes latitudes ?

« Les habitants des basses latitudes ne sont ni plus ni moins paresseux que nous et j’ai honte d’énoncer une telle évidence. » p.272

Le malentendu réside dans une conception différente de l’écoulement du temps.

Un autre point important, aux basses latitudes, est la prédominance du groupe sur l’individu, qui, comme le temps « tournant » est une caractéristique des sociétés traditionnelles qui ont disparu aux latitudes moyennes. Cette prédominance du groupe sur l’individu a également de nombreuses conséquences.

« Parmi les nombreuses conséquences sociales, il faut compter l’attachement à la tradition et la résistance au changement. Le groupe –clan ou caste, famille ou village – exerce à l’égard des initiatives individuelles une suspicion unanimement considérée comme légitime. » p.276

« La prédominance du groupe sur l’individu entraîne aussi l’indulgence vis-à-vis de certaines formes de corruption. » p.278

L’individu est alors porté vers une forme de fatalisme ou de résignation, qui peuvent également être vus comme lucidité ou pragmatisme. Cette manière d’accepter le réel tel qu’il est, est compensée par un art particulier de faire la fête :

« La fête, autre forme de résistance contre les difficultés de la vie, est une activité dont les habitants des basses latitudes ont une longue pratique et qu’ils déclenchent très libéralement. » p.282

De même, les sociétés tropicales « attachent une grande importance à la foi, aux religions, aux mythes et aux rites, aux traditions et aux croyances… » p.284

Tous ces marqueurs des sociétés tropicales aideront-ils à comprendre la situation actuelle? Pourquoi tant de dénuement et de misère dans le domaine de l’économie alors que les régions concernées sont souvent largement pourvues en ressources naturelles ? Répondre à cette question est le but de l’ouvrage de Francis Hallé.

L’activité économique

« Les pays tropicaux, économiquement démunis dans leur ensemble, et souvent misérables, sont entourés aux latitudes moyennes nord et sud, de régions beaucoup mieux pourvues dans ce domaine, voire économiquement opulentes. » p294

« La misère est certainement, de toutes les caractéristiques des populations tropicales, la plus connue du grand public européen, et, sinon la mieux comprise, au moins la plus souvent montrée, et parfois avec une coupable complaisance. Effrayante tendance qui, même si elle se réclamait d’intentions louables au départ, n’alimente plus que le voyeurisme, dès lors que l’étape d’une nécessaire prise de conscience est depuis longtemps révolue. Le problème reste entier et il est préférable de chercher à comprendre ce qui se passe afin de pouvoir proposer des solutions. » p.295

« Comment deux domaines de pensée que le bon sens commanderait de considérer comme totalement disjoints – l’astronomie et l’économie – pourraient-ils être liés l’un a l’autre ? » p. 296

Francis Hallé nous explique que si un bon nombre de spécialistes, dont de grands économistes, reconnaissent que la pauvreté se situe entre les deux tropiques, et non dans une distinction « nord-sud », certains par contre le nient encore catégoriquement. Certains ouvrages d’économie sur les tropiques ne tiennent

« à priori aucun compte d’une éventuelle influence de l’environnement sur l’activité économique. » p.305

Chez nombre de géographes et chercheurs en sciences humaines, le refus du déterminisme a valeur de dogme. Le grand public par contre admet sans difficulté l’existence d’un lien causal entre les latitudes tropicales et la misère. Le mythe de « la vie tropicale trop facile » pour stimuler une véritable économie, et, un vaste mouvement d’idées racistes considérant la « civilisation » comme un produit automatique des climats stimulants, a eu pour résultat que

« tant de géographes actuels refusent de considérer qu’un lien puisse exister entre les difficultés économiques d’un pays et sa latitude tropicale. » p.312

« La latitude influence-t-elle, oui ou non, l’activité économique ? » p.313

Pour répondre à cette question, Francis Hallé propose d’étudier les idées du scientifique américain Jared Diamond. Confronté à la question de Yali, un Papou de Nouvelle Guinée lui demandant :

« Pourquoi, est-ce vous, les Blancs, qui avez fabriqué tout ce cargo et l’avez apporté jusqu’en Nouvelle-Guinée, alors que nous, les « Noirs », nous possédons si peu de cargo à nous ? » p.314

(Le mot « cargo » désignant tout l’équipement apporté par les blancs.)

« Diamond sait bien que, si l’on y réfléchit, la question de Yali peut prendre cette forme dérangeante : « Pourquoi les Européens sont-ils venus coloniser la Nouvelle-Guinée ? Pourquoi nous autres, habitants de la Nouvelle-Guinée, n’avons-nous pas été coloniser l’Europe ? » p.314

Jared Diamond, d’autre part,

« sait que l’explication courante est à fondement raciste et fait appel à des différences biologiques ou génétiques entre les peuples… » p.314

Cela le motive pour étudier sérieusement la question et essayer d’y répondre :

« Les inégalités économiques constatées à l’époque actuelle entre les peuples ont donc, selon Jared Diamond, une explication historique reposant sur trois réalités qu’il fait entrer en scènes dans cet ordre :

– les avantages, en matière de flore cultivable et de gros animaux se prêtant à l’élevage, d’une région du Proche-Orient, à climat méditerranéen, le croissant fertile ;

– les axes d’allongement des masses continentales qui, lorsqu’ils sont nord-sud, s’opposent aux échanges, alors qu’ils les favorisent s’ils sont est-ouest ;

– enfin un aspect sanitaire qui s’est traduit par le sinistre cadeau de l’Europe aux autres continents : les germes issus de la longue intimité des eurasiens avec leurs animaux domestiques. » p.320

Jared Diamond, nous dit Francis Hallé,

« a considérablement fait avancer la redoutable question des inégalités entre les sociétés. » p.321

L’auteur émet cependant des critiques. En effet, si les axes d’allongement des continents ont certainement été un facteur essentiel à l’époque où on se déplaçait à pieds, nos moyens de transports actuels se moquent bien des différences climatiques.

« Pourquoi avons-nous assisté à tant d’échecs, en matière sociale, agricole et industrielle, dans la coopération entre pays riches et pays pauvres ? C’est faute d’avoir respecté cette règle de base prédisant que les échanges entre latitudes différentes, donc entre climats différents, seront lents, difficultueux, voire définitivement impossibles. » p.321

Francis Hallé, toujours en désaccord avec Jared Diamond, écrit également :

« Il est difficile (…) de soutenir que les habitants du Croissant fertile aient dû leurs succès en matière d’agriculture et d’élevage à l’exceptionnelle diversité biologique des milieux naturels qui les entouraient. En réalité, ils possédaient de beaucoup moins d’espèces animales et végétales que n’en avaient les populations des régions tropicales. Par ailleurs, on pense maintenant qu’en Nouvelle-Guinée, à la latitude de l’équateur, les habitants ont pratiqué la domestication des plantes et l’agriculture vivrière un millier d’années avant ceux du croissant fertile. » p.323

« Est-il envisageable qu’outre la Nouvelle-Guinée, plusieurs sites tropicaux comme l’Amazonie et le Sahel d’Afrique aient eu des agricultures antérieures à celles du croissant fertile ? Les vues des archéologues semblent évoluer dans ce sens. » p.323

Dans la réalité, nous dit Francis Hallé, même s’il est historiquement prouvé que les germes pathogènes apportés d’Europe ont décimé les Amérindiens, les régions tropicales sont elles-mêmes aussi riches en germes pathogènes susceptibles de s’attaquer à l’être humain.

Francis Hallé répond à Yali de Nouvelle-Guinée de la manière suivante :

« Les conditions difficiles ont-elles favorisé la recherche de solutions aux problèmes matériels, et rendu les gens plus inventifs ? (…) Un point décisif est que le froid hivernal, en limitant le développement de germes et de parasites, donnait accès à une vie moins soumise à la maladie que ne l’était celle des ancêtres restés en Afrique. » p.329

Pour Francis Hallé, la latitude est « le nœud du problème ».

Plus récemment, Jared Diamond lui-même rend à la tropicalité sa valeur explicative.

Aux conditions climatiques, nous dit Francis Hallé, s’ajoute l’influence que pourrait avoir la longueur des jours.

Mais pour résoudre la question du lien entre tropicalité et économie, il est important de l’étudier dans un contexte historique.

Une approche historique des inégalités

« Peut-on déterminer à quelle époque se sont mises en places les inégalités entre les sociétés actuelles ? Combien de temps a-t-il fallu pour que s’établisse ce clivage, si évident aujourd’hui entre « les régions tropicales pauvres » et les « régions tempérées riches » ? » p.331

L’auteur, après avoir résumé l’histoire de la migration de notre espèce depuis l’Afrique de l’est il y a environ 7 million d’années, demande :

« L’expansion humaine s’est-elle accompagnée de la mise en place d’inégalités économiques entre les groupes humains vivant à des latitudes différentes ? Qu’en était-il, par exemple, 10000 ans avant notre ère ? » p.335

L’être humain

« est désormais installé sur tous les continents, entre les latitudes 0° et 55° nord et sud. » p.336

« Faute d’arguments contraires, on peut admettre qu’à cette époque, quelle que soit la latitude, tout le monde avait le même « niveau de vie », qui devait d’ailleurs être assez bon puisque, la diversité biologique étant intacte, le gibier ne manquait pas, comme abondaient les légumes et les fruits de cueillettes. » p.337

« Peut-être ne s’agissait-il pas d’un « âge d’or », mais au moins était-ce une époque équitable pendant laquelle le monde n’était pas clivé, comme il l’est actuellement… » p.337

« Les inégalités économiques sont-elles relativement récentes, comme le seraient une retombée de la traite des esclaves ou une séquelle de l’époque coloniale, ou faut-il remonter à la préhistoire pour voir ce clivage se mettre en place ? » p.337

Francis Hallé propose de s’intéresser à deux modes d’accès à la compréhension de notre monde : l’empirisme, et la science.

« L’empirisme est fondé sur des expériences personnelles et sensibles ; ceux qui le pratiquent ne cherchent pas à expliquer un phénomène, ils veulent seulement savoir s’il existe et s’il est possible de lui faire confiance pour se rejeter dans l’avenir. » p.338

« La science procède de façon différente, selon une démarche presque inverse de celle de l’empirisme. Plus récente et plus lente que ce dernier, elle est avant tout une opération intellectuelle visant à tester la validité d’une idée préconçue, nommée « théorie »… » p.339

« Ces deux tentatives de compréhension du réel ne cessent de se mélanger dans notre vie quotidienne. » p.339

Francis Hallé pense « que la science n’est pas la même partout et qu’il convient de distinguer celle des tropiques de celle qui s’élabore aux latitudes moyennes. » p.340

« Aux basses latitudes, la science est fonctionnelle mais discrète, proche de l’empirisme, résolument pragmatique et visant à la satisfaction des besoins immédiats de l’être humain. » p.340

«  A son actif, la science tropicale a l’invention des premiers outils, les premières utilisations du feu et des plantes médicinales ; la transition de la vie de chasseur-cueilleur à celle d’agriculteur sédentaire, souvent considérée comme le fait majeur de l’histoire économique de l’humanité avant la révolution industrielle, s’est effectuée entre les tropiques. L’agriculture et la domestication des bovins sont des inventions tropicales, comme l’astronomie, la métallurgie, la fabrication du verre et la céramique, la construction navale et la navigation hauturière, toutes réalisations décisives qui ont modifié les comportements humains de façons irréversible. » p.341

« Aux latitudes moyennes, la science est forte et ambitieuse, spectaculaire et volontiers hégémonique. Les scientifiques contemporains jouissent d’un statut social élevé et pensent, en toute bonne foi, que la seule science digne de ce nom est celle qui se pratique dans des institutions prestigieuses et des laboratoires dotés d’équipements lourds. La science, à notre époque a ou doit avoir une finalité économique directe…. »

Francis Hallé a émis l’hypothèse

« que la recherche scientifique pourrait être stimulée par les variations photopériodiques. » p.342

Une approche historique essaiera de dater l’apparition des inégalités économiques entre les différentes régions du globe, et testera l’idée d’une corrélation entre ces inégalités et la latitude.

Un tour du monde au IXème siècle « ne révèle aucune corrélation entre latitude et niveau d’activité économique. Les Mayas, peuple tropical, sont plus avancés dans ce domaine que ne le sont les indiens d’Amérique du Nord, restés chasseurs-cueilleurs. Le royaume khmer, l’empire du Ghana, tropicaux l’un et l’autre, sont mieux organisés et plus efficaces que ne l’étaient, aux latitudes moyennes, les Mérovingiens et même les Carolingiens.

Toutefois, des différences de niveau scientifique existent déjà, qui préfigurent le clivage actuel, mais dont la transcription en termes économiques n’a pas encore eu lieu.» p.347

« Où donc est la science au IXème siècle ? Deux civilisations sont en tête dans ce domaine, l’arabo-musulmane, de Samarcande à Grenade, et celle de la Chine des Tang, l’une et l’autre situées aux latitudes moyennes. » p.347

« Au XVème siècle, des disparités existaient déjà entre les latitudes basses et moyennes. Il ne s’agissait pas encore de disparités économiques mais, dans le domaine des sciences, les inégalités étaient déjà visibles. » p.351

La science « est toujours à Pékin et à Grenade, comme au IXème siècle, mais plus pour très longtemps ; de nouveaux foyers sont en passe de prendre la relève, ceux de la Renaissance européenne. » p.352

Lorsque les espagnols débarquent sur les côtes du nouveau monde, ils rencontrent des sociétés largement au niveau de l’Europe pour l’organisation sociale et politique, mais très en retard en matière de techniques.

« Les espagnols sont les héritiers d’une tradition scientifique et technique qui remonte à la dynastie chinoise des Tang, enrichie par l’Islam, et rajeunie par la Renaissance européenne. » p.352

Cela explique, dit Francis Hallé, pourquoi l’histoire a eu le cours que nous lui connaissons.

Du XVIème au XXème siècle, l’histoire nous est bien sûr plus familière. Où en est l’activité scientifique, celle-ci est-elle liée au niveau des performances économiques ?

Au début du XVIème siècle, l’activité scientifique s’est déplacée vers Lisbonne, Madrid, Florence, Munich, Strasbourg, Londres, Amsterdam et Paris.

« Les villes concernées sont toutes situées entre 37° et 51° N, dans cette bande de latitudes moyennes où on trouve également Athènes, Grenade et Pékin. Entre les tropiques, la science ne fait plus parler d’elle. » p.356

Cette période est

« inaugurée de façon héroïque et brutale par l’irruption des conquistadors espagnols dans une Amérique alors « indienne » mais qui ne va plus tarder à devenir « latine ». » p.356

« Les vagues de conquistadors se succèdent ; l’Amérique tropicale est massivement colonisée et, pour l’essentiel, passe sous juridiction espagnole, tandis que les richesses prélevées dans le nouveau monde convergent vers Madrid. A cette indiscutable réussite économique et militaire, il y a hélas un consternant revers : les populations indiennes de l’Amérique tropicale en sont victimes ; réfractaires à l’esclavage et au travail forcé, indifférentes à la foi chrétienne, elles sont horriblement maltraitées ; en outre, sensibles aux germes pathogènes venus d’Europe, elles décroissent à grande vitesse, décimées par des maladies d’origine tempérée qu’elles ne connaissent même pas. » p.356

A Valladolid, en 1550, une longue controverse questionne la véritable nature des Indiens : ont-ils une âme immortelle ou non, en d’autres termes, sont-ils des hommes ou des animaux, peut-on donc en toute moralité, les soumettre à l’esclavage ou les éliminer? La réponse est qu’ils ont bien une âme comme nous, et qu’on doit les traiter comme des hommes. A cette réponse suivra celle-ci : «…en revanche, il est bien vrai que les habitants des contrées africaines sont beaucoup plus proches de l’animal. »

L’esclavage et la colonisation

« La décision de remplacer les Indiens par des esclaves africains va conduire à des pages d’histoire qui dépassent en indignité et en horreur tout ce que l’humanité avait pu imaginer jusque-là. La confrontation entre les latitudes prend une forme nouvelle, celle de l’esclavage érigé en système. » p.357

« Il ne s’agit pas d’une nouveauté. Au XVIe siècle, la pratique de l’esclavage est déjà fort ancienne, et il est probable qu’elle remonte aux origines de l’espèce humaine. » P.357

« Marcel Dorigny remarque qu’aucune religion « du paganisme antique à l’islam, en passant par le christianisme tant grec que latin », n’a élevé d’objection contre le fait de réduire en esclavage les noirs d’Afrique tropicale.. » p.358

Les premiers navires négriers arrivent au nouveau monde dès le XVIème siècle. Le commerce triangulaire est organisé par l’Europe aux XVIIème et XVIIIème siècle.

« En Afrique, les dégâts sont énormes et on les a longtemps sous-estimés ; au XIXème siècle, lors de l’abolition de l’esclavage, l’Afrique subsaharienne a perdu 400 millions d’âmes et sa population est trois à quatre fois plus réduite qu’elle ne l’était au XVIème siècle ; elle aurait retrouvé sa population d’avant la traite il y a seulement dix ans. » p.359

« …On ne saurait surestimer l’impact de l’esclavage sur le retard économique des régions qui en ont été les victimes ; l’enrichissement de l’Europe et l’appauvrissement de l’Afrique tropicale ont avancé de pair pendant trois siècles.. » p.359

Immédiatement après la traite, a suivi la colonisation. Aucun répit pour l’Afrique noire.

« Pour l’essentiel, l’histoire coloniale est une histoire sordide et sanglante, et si les colonisateurs ont tenté de masquer la réalité derrière des images de bravoure, d’héroïsme, de générosité et d’humanisme, de rêve et d’aventure, c’est bien parce qu’ils savaient que cette réalité, si on la voyait nue, n’inspirerait que la honte. » p.359

On se permettra ici d’ouvrir une parenthèse et d’ajouter que ces images de bravoure, d’héroïsme, de générosité, de rêve et d’aventure, dont nous parle Francis Hallé, ont été véhiculées entre autres par tout un courant littéraire narratif occidental, centré sur un personnage viril et aventurier, au point qu’il est devenu difficile, encore même aujourd’hui, de trouver et même de faire concevoir des textes adoptant un point de vue autre, plus apte à rapporter une réalité plus concrète, plus proche des peuples, des faits et des lieux. La critique littéraire, l’édition et les medias, ont bien travaillé à censurer les travaux qui ne collent pas à cette image héroïque fantasmée censée attirer le lecteur. Chinua Achebe, vers qui toutes nos pensées se dirigent aujourd’hui, avait dénoncé avec virulence cette énormité. Ce n’est pas le propos de cet article, mais on ne manquera pas d’y revenir…« en suivant l’équateur ».

Qu’est-ce que la colonisation ?

« Un puissant pays exerce son influence sur un autre, plus faible, dans le but d’accéder à ses ressources. Le terme ne s’applique pas à l’installation dans des régions inhabitées. »p.360

« La colonisation, par définition, se fait au détriment de populations déjà en place. » p.360

Francis Hallé nous propose alors un tour du monde et un historique de la colonisation qui permettra aisément de faire apparaître le statut des latitudes tropicales. La liste des pays colonisés par les puissances européennes en particulier est à couper le souffle. Pour l’auteur,

« Un fait indiscutable est que le nationalisme est l’un des ressorts profonds de l’entreprise coloniale. »p.366

Il cite Hannah Arendt qui considère que la colonisation a donné naissance au nazisme :

«  Les dirigeants nazis avaient vu là, de leurs propres yeux, comment les peuples pouvaient être transformés en races et comment, à la seule condition de prendre l’initiative du processus, chacun pouvait élever son propre peuple au rang de race maîtresse. » p.363

La longue liste des entreprises coloniales fait apparaître, nous dit Francis Hallé, une relation entre latitudes et colonisation. Sauf pour quelques exceptions,

  • « tous les pays tropicaux ont été colonisés, et tous l’ont été par des puissances situées aux latitudes moyennes (…)

  • «  à l’inverse, la colonisation des latitudes moyennes et hautes par des populations tropicales semble n’avoir jamais eu lieu.. »p.370

Cette situation aurait-elle pu avoir lieu dans l’autre sens ? Le résultat de la colonisation est

« une extrême pauvreté, voire de la misère, pour les populations des pays concernés ; une santé souvent précaire et une faible espérance de vie ne laissent guère de chance au développement personnel : beaucoup d’habitants des basses latitudes n’ont, au sens propre, rien à perdre. » p.375

Face à cette situation d’injustice, on pourrait s’attendre à des révolutions, comme il en existe tant aux latitudes moyennes, mais, nous dit l’auteur :

« Il semble que le sentiment révolutionnaire n’existe pas aux basses latitudes, ce qui, pour un Européen, est proprement incroyable. » p.375

L’explication de Francis Hallé est fondée sur la biologie et « déplaira sans doute à ceux qui considèrent comme indigne de l’être humain de devoir se plier aux contraintes de son environnement. » p.377.

Il reprend donc l’hypothèse photopériodique pour expliquer les comportements populaires de passage à l’acte de violence qui seraient stimulés par la longueur des jours, et non par la chaleur.

« C’est grâce au stimulus que confèrent les jours longs que les populations des latitudes moyennes se soulèveraient collectivement contre les injustices. Aussi étrange que puisse paraître cette rencontre de la physiologie humaine et de la socioéconomie, je propose de voir là une clé de lecture de l’histoire contemporaine, à l’échelle mondiale, nationale ou locale. » p.378

Tout cela, nous dit Francis Hallé, bénéficie, sous les tropiques,

« …aux dirigeants politiques injustes et favorise l’immobilisme social. » p.379

Comment réagissent alors ces populations ? L’immigration, l’économie parallèle, les structures d’entraide, la solidarité familiale ou du village, la corruption, sont un bon nombre de solutions incomprises par les européens, habitués aux modèles de nos institution.

« C’est l’occasion de rappeler que, dans les régions tropicales, la population considère habituellement l’état comme un occupant. Vargas Llosa : «  L’une des sources majeure d’exploitation de l’individu dans nos pays, c’est l’Etat, ce monstre parasitaire qui se nourrit des énergies de la populations. » p.380…

comme l’avait si bien dit avant lui sa compatriote et inspiratrice, Flora Tristan.

« A l’européen qui cherche à comprendre, les tropiques vont demander une incessante remise en question de ses propres valeurs. Ce n’est pas seulement l’économie officielle qui s’y trouve battue en brèche, c’est aussi le sens de l’Etat, le caractère universel de la science et même le droits de l’homme. » p.380

La situation actuelle

Qu’en est-il de la décolonisation ? De l’idéologie « tiers-mondiste » des années soixante qui a suivi, des notions de « développement et sous-développement » ?

« Une constatation déconcertante est que l’aide des pays riches aux pays pauvres n’a servi à rien. » p.382

Les prêts des pays riches aux pays pauvres, permettant de maintenir les pays pauvres incapables de rembourser dans la dépendance la plus totale, ont permis de faire perdurer l’influence perdue lors de la décolonisation. L’auteur questionne alors les notions de solidarité internationale et de droit d’ingérence, dont le résultat se solde par un échec.

« Au début du XXIème siècle, c’est le développement lui-même qui cesse d’être considéré comme un objectif valable. » p.388

Quelle est la situation aujourd’hui ? Quels sont les rapports entre les tropiques et les latitudes moyennes au début du XXIème siècle ?

En France, Christiane Taubira, alors députée de Guyane, fait voter « loi Taubira » par laquelle la France reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Le 10 mai est choisi comme date célébration de l’abolition de l’esclavage. La France ne présente cependant pas d’excuse officielle à l’Afrique noire, l’assemblée nationale considère que la loi Taubira tient lieu de regrets et d’excuses. La situation est tout aussi confuse dans les autres pays occidentaux.

La notion de développement est abandonnée pour la « lutte contre la misère. » En effet, « l’économie se globalise, les lois du marché dominent sans partage, et les mécanismes de redistribution des richesses n’ont guère de chances de fonctionner. Le nouveau slogan est « Trade, not aid » p.394

Francis Hallé considère que

« l’aide, si elle ne profitait guère aux pays pauvres, payait les salaires des fonctionnaires internationaux et des bureaucrates de service de la coopération qui en administrait les budgets. » p.395

Depuis la seconde guerre mondiale,

« l’écart n’a cessé de croître entre le niveau économique des « latitudes riches » et celui des régions tropicales. » p.395

La recherche scientifique ne se fait toujours pas sous les tropiques où les chercheurs ne bénéficient pas de l’environnement et des moyens nécessaires. La science sous les tropiques, discrète et résolument empirique, dont l’auteur nous fait un inventaire, diffère totalement de la science spectaculaire et coûteuse des latitudes moyennes.

Les pays tropicaux profitent-ils de la mondialisation économique ?

« Amy Chua montre que, dans chaque pays pauvre d’Asie du Sud Est, d’Amérique latine ou d’Afrique, les minorités économiques dominantes, souvent issues de la colonisation et assurant à leur profit le lien avec l’économie planétaire, sont les seules bénéficiaires de la mondialisation. » p.406

La mondialisation économique est une colonisation véritable, et ne profite qu’aux pays riches ou à une minorité dominante.

Un résultat en est l’immigration, qui elle aussi, se mondialise.

« L’immigration est un élément essentiel de la confrontation entre les latitudes. » p.412

« Les flux migratoires les plus importants vont des pays tropicaux vers les latitudes riches, constituant ainsi une sorte de symétrique à la colonisation. » p.413

Les drames de l’immigration, dont les médias reconnaissent ne pas assez parler, sont nombreux. Francis Hallé nous en fait un inventaire époustouflant, rien que pour l’année 2007. Pour stopper cet afflux de populations pauvres, les pays riches n’ont rien trouvé de mieux que d’ériger des murs. La pauvreté amène également à considérer les pays tropicaux comme dépotoirs des pays riches qui n’hésitent pas à y envoyer leurs dechets toxiques, ou comme laboratoires pour tester l’efficacité de médicaments.

La réalité est que le racisme, terme tabou, est omniprésent dans la relation entre les pays pauvres et les moyennes latitudes.

« Ce terme est probablement trop restrictif ; le sentiment que je cherche à décrire serait un mélange de veulerie et de goût pour le gain facile ; s’y ajoutent la loi du plus fort et la certitude de l’impunité. » p.429

Enfin, Francis Hallé l’affirme, c’est une certitude, l’économie et la latitude sont liées.

L’agriculture est une des activités économiques les plus marquées par la tropicalité. On y trouve une agriculture « en trois dimension » ou « agroforêt », totalement différente de nos monocultures européennes.

« Conservant la complexité des écosystèmes alentour, la diversité biologique y est forte : cette fois, les espèces cultivées se comptent par centaines. » p.436

« Aucun intrant synthétique n’est utilisé : les engrais et les pesticides proviennent des plantes cultivées elles-mêmes. L’objectif n’est ni la productivité, ni la réduction des coûts de production, ni l’augmentation de bénéfices commerciaux, mais le bon fonctionnement de la communauté villageoise, et sa sécurité alimentaire. » p.436

Ces sublimes agroforêts tropicales qui existaient avant l’époque coloniale, ne correspondaient pas aux idées des colonisateurs qui les ont remplacées par des monocultures qui ont continué après les indépendances. Les déboires écologiques causés par ces monocultures productivistes ramènent aujourd’hui à l’honneur l’agroforesterie, et globalement l’activité agricole menée sous les tropiques respecte mieux la biodiversité que l’agriculture de nos régions tempérées.

Qu’en est-il des paysans dans ces régions ?

« Les ruraux – paysans, agriculteurs, éleveurs, forestiers – s’ils constituent encore le groupe social numériquement majoritaire dans les régions tropicales, sont méconnus, oubliés et souvent délibérément calomniés. »

« …la mauvaise image que l’on s’efforce de donner d’eux leur fait du tort et, sur 1 milliard de « malnutris chroniques », les deux tiers seraient des paysans des tropiques » p.448

D’autre part, si l’agriculture y emploie plus de la moitié de la population, 5 à 10% du budget des états y est consacré, alors que défense, justice et sécurité absorbent 30% de ce budget. Les paysans représentent 60% de la population des pays tropicaux contre 2% dans les pays riches. Leur statut les rend vulnérables, et l’on assiste à des émeutes de la faim. Il est à noter que rien n’est fait pour changer cette situation. L’auteur nous donne un chiffre étonnant :

« Chaque année, les pays de l’OCDE versent 350 milliards de dollars à leurs agriculteurs, contre 1 milliard d’aide à l’agriculture des pays pauvres. » p.449

L’auteur dénonce alors le néocolonialisme agraire des pays riches qui achètent aujourd’hui aux pays pauvres de vastes terres à cultiver pour leurs propres besoins. Ils y mettent en place des cultures intensives et les premières victimes sont bien sûr les petits paysans locaux. Malheureusement, les pays tropicaux communiquent peu entre eux, et les difficultés perdurent.

Les pays ayant les difficultés économiques les plus importantes, dits« pays les moins avancés », caractérisés par une forte croissance démographique, un taux d’alphabétisation bas, un taux élevé de sous-emploi, une faible couverture sanitaire, un taux de fécondité élevé par femme, une forte mortalité infantile, une espérance de vie réduite, des inégalités sociales fortes, voire « violentes », un faible revenu annuel par habitant, une consommation calorique quotidienne faible par habitant, une très grande difficulté d’accès à l’eau potable, une faible dépense énergétique annuelle , se trouvent majoritairement en zone tropicale, et surtout en Afrique. Si les pays tropicaux ont progressé depuis un demi-siècle dans le domaine économique, les pays situés aux latitudes moyennes qui autrefois étaient classés dans le « tiers monde »,

« ont tous atteint, à des degrés divers, un niveau élevé de développement et se sont complètement démarqués des latitudes tropicales. Deux exemples suffiront, ceux des Emirats arabes unis et de la Chine ». p.457

On observe également dans les pays partiellement tropicaux, que leur partie non tropicale est significativement plus riche que l’autre. Francis Hallé expose en détail les cas du Mexique, du Brésil, de l’Inde, de l’Australie et même de la France. Dans tous ces pays des contrastes évidents, parfois phénoménaux, apparaissent suivant la latitude des différentes régions.

Toutes les observations précédentes conduisent à cette constatation : l’économie et la politique sont reliées aux latitudes. Francis Hallé demande alors :

« Les économistes, certains d’entre eux au moins, vont-ils dorénavant prendre en compte dans leurs travaux ce lien unissant leur discipline à l’astronomie ? Et de quelle façon cela changerait-il leurs modes de pensée ? Ce qui fait défaut – et pas seulement aux économistes – est une vision claire de la valeur des régions tropicales. Actuellement si méprisés qu’ils ne suscitent guère d’autres intérêts que l’exploitation de leurs matières premières et l’utilisation de leur force de travail, les tropiques méritent que leur statut soit revalorisé et que soit reconnue leur véritable place. » p.481

Plaidoyer pour les tropiques

La condition tropicale, de Francis Hallé, paru en 2010 aux éditions Actes Sud, est un véritable plaidoyer pour les tropiques, par un scientifique qui, ayant consacré sa carrière entière à l’étude de ces régions toujours dévalorisées, a décidé une bonne fois pour toute de nous en expliquer l’importance capitale.

« J’irai jusqu’à prétendre que les basses latitudes sont les régions les plus importantes de la terre, même si cela va à l’encontre de beaucoup d’idées reçues. » p.486

Son plaidoyer est aussi un cri de colère :

« Insondable, le racisme ambiant ; abyssal, le mépris dans lequel les habitants des régions riches tiennent ceux qui vivent entre les tropiques ; vertigineux, le sentiment de supériorité des premiers sur les seconds.» p.486

L’ouvrage de Francis Hallé est une synthèse unique en son genre, qui nous permet de réaliser non seulement le rôle et l’influence de la zone intertropicale, véritable moteur énergétique régissant les climats de notre planète, réservoir d’une biodiversité d’une richesse inouïe, mais aussi que la sagesse et la philosophie des populations des basses latitudes dont les techniques et la science respectent la continuité du savoir, sont un enseignement indispensable pour ne pas courir à la catastrophe. En effet, nous dit l’auteur :

« …l’actualité n’apporte-t-elle pas la preuve de ce que l’économie des latitudes riches n’a pas le caractère durable que nous lui prêtions ? Les limites de l’écologie planétaire ne vont-elles pas nous contraindre à modifier nos comportements dans le sens d’une plus grande sobriété ?» p.488

Il est temps de nous rendre à l’évidence, dit l’auteur, l’économie, telle que les latitudes riches la pratiquent, motivée par la tendance à rivaliser, à se comparer à autrui pour le rabaisser, entraîne une irréversible dégradation de nos conditions de vie sur terre. Il espère que l’idée de reconsidérer les tropiques comme norme ou zone de référence, idée qui pourrait aider les sociétés riches à résister aux restrictions qui ne manqueront pas de s’imposer, fasse son chemin et soit l’objet d’une discussion, car bien qu’elle déplaise aux économistes, elle est incontournable. Sans cette prise de conscience, nos enfants hériteront d’une situation planétaire de plus en plus ingérable.

En suivant l’équateur se joint à cet appel, à cet espoir. Il va sans dire qu’une telle présentation de l’ouvrage estropie le texte des nombreuses anecdotes, citations, descriptions, exemples et illustrations de l’auteur, qui enrichissent son propos et lui confèrent son caractère unique et personnel, son humour et sa clarté, sa force et sa rigueur scientifique. La condition tropicale, de Francis Hallé, paru en 2010 aux éditions Actes Sud est un ouvrage savant accessible à tous. C’est, en ce début de XXIème siècle, un éclairage indispensable qui nous permet de voir la réalité du monde, sous toutes ses facettes et dans sa globalité.

P.Mathex 26/03/13

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